41 – Hugues Aufray (Sylvie)
Hier soir, nous avons assisté au concert d’Hugues Aufray.
Pour Jean-Pierre, c’était comme retrouver un compagnon de route. Une mémoire vivante de ses vingt ans, avec ce goût si particulier de la liberté insouciante. Il souriait, touché, curieux aussi. Je voyais bien qu’il se demandait comment cet homme de quatre-vingt-quinze ans, parvenait encore à habiter la scène avec autant de présence.
Moi, je ne m’attendais à rien. Je pensais passer un moment agréable, sans plus. Et puis, il y eut ce glissement, à peine perceptible, mais fulgurant.
Il était là, pleinement là, sans masque, sans détour. Et cette manière d’être, offerte sans retenue, m’a bouleversée.
Ce n’était pas une performance, mais une vérité. Celle d’un homme porté par ce qu’il aime avec une intensité vibrante. Une vibration qui emplissait la salle et venait réveiller en moi quelque chose d’invisible mais d’essentiel.
Et puis une chanson s’est élevée. Mes larmes ont coulé sans que je puisse les retenir. Ce n’était pas de la tristesse, pas même de la nostalgie. C’était une joie mystérieuse qui traverse le corps et déborde sans prévenir.
Je ne pleurais pas vraiment… je vibrais. Comme si quelque chose en moi s’ouvrait en silence.
C’est alors que j’ai compris. Son secret ne tenait ni à son corps, ni à sa voix. Il tenait à cette vibration singulière, née de l’accord parfait entre ce qu’il fait et ce qu’il aime. Une manière d’être juste, sans effort, dans un alignement presque organique.
Il ne jouait pas, il habitait. Il ne cherchait pas à briller, il rayonnait.
Et cette joie simple, nue, essentielle, tenait lieu de colonne vertébrale.
C’est cela, je crois, qui le tient debout.
Et peut-être… peut-être que c’est cela, au fond, qui nous rend pleinement vivants.
Dans le silence de notre chambre d’hôtel, Jean-Pierre s’était endormi. Je fixais le plafond, les yeux grands ouverts, les sens en éveil. Quelque chose vibrait encore. Une présence subtile, presque palpable, comme si l’air lui-même répondait à ce que je portais. Comme si l’univers, depuis toujours, attendait que je m’accorde à lui, et que, sans m’en rendre compte, j’étais en train de le faire. Et dans cette résonance subtile, une évidence s’est glissée :
tout est déjà là.
Les possibles, les élans, les réponses. Ils sont là, suspendus, comme une note en attente. Mais ils ne s’offrent qu’à une présence accordée sur la même fréquence.
Longtemps, j’ai cru que demander suffisait. Mais demander, n’est-ce pas souvent implorer… ou exiger ?
Et dans ces élans-là, n’y-a-t-il pas une forme d’attente impuissante ?
C’est un peu comme dire :
Donne-moi la paix, car je me sens perdue…
Donne-moi l’amour, car je suis seule…
Donne-moi l’abondance, car je manque de tout…
Derrière ces mots, ce qui vibre c’est le manque, la peur, la séparation.
Et la vie ne répond pas à ce que je dis, elle répond à ce que je suis.
Je suis restée là, immobile, dans ce silence vibrant. Ce n’était plus une prière lancée vers l’extérieur, mais un engagement intérieur :
Ce n’est pas la vie qu’il faut convaincre, c’est soi qu’il faut accorder.
Alors, je me suis demandé : qu’est-ce que je choisis de vibrer ?
Quand je choisis l’abondance… ne suis-je pas déjà en train de cesser de compter, de retenir, de mesurer ? Ne suis-je pas en train de donner autrement, sans calcul, presque sans m’en rendre compte ?
Et quand je choisis l’amour… ne suis-je pas, malgré moi, en train de cesser de me protéger ? D’ouvrir, d’accueillir, alors que rien ne m’y oblige ?
Ce n’est pas le monde qui se plie à mes demandes. C’est moi qui m’accorde à ce qui est déjà là.
Et dans cet accord, je retrouve mon pouvoir. Non pas le pouvoir d’obtenir, mais celui de révéler. Oui, révéler ce qui est déjà présent dans l’invisible et qui attend que je sois prête à l’accueillir.
J’aurais pu croire que c’était juste un moment de grâce, une parenthèse. Mais non. Ce que j’ai ressenti avait un fondement plus vaste. Plus réel que tout. Même la physique quantique le confirme. Tout est énergie, et notre conscience influence la forme que prend la réalité. La matière elle-même n’est qu’une condensation d’énergie et elle se forme là où j’ai posé mon attention.
Tant que je n’observe pas, rien n’est figé. Mais dès que je ressens, que je regarde, quelque chose se fixe, prend corps. Les particules se rassemblent, comme si ma conscience leur donnait un ordre, une direction.
La réalité, loin d’être un décor figé, répond à ce que je suis. Elle ne réagit pas à mes pensées seules ni à mes demandes, mais à l’état d’être que j’émane.
Il ne s’agit plus de croire, ni même d’attendre. Il s’agit de participer. Pleinement.
Ce principe, Jean-Pierre et moi, nous l’avions déjà étudié dans de nombreux livres. Nous en avions parlé longuement. Visualisation, loi d’attraction, pouvoir de l’intention…
On croyait avoir compris. Et parfois, ça semblait marcher.
Mais je réalise que ce que je croyais comprendre n’était qu’une lumière partielle.
Car oui, c’est vrai, au début quand on demande, on reçoit. Si bien que l’on croit avoir trouvé la lampe magique d’Aladin. On se dit que la vie va devenir facile. Que tout nos vœux vont se réaliser.
On demande une voiture, une opportunité, une rencontre et cela fonctionne. Mais on se rend vite compte qu’on éprouve toujours malgré tout ces mêmes peurs, ces manques. Et souvent, les beaux présents accordés par la vie s’en vont sans même crier gare.
Et puis le cœur s’ouvre. On demande plus vaste, plus grand. On ne demande plus une chose. Et c’est là que tout vacille. Ce n’est pas que la vie se tait, c’est qu’elle répond autrement.
Elle commence par nous montrer ce qui, en nous, fait obstacle. Elle vient toucher l’endroit exact où la peur tremble encore. Elle ne nous juge pas, elle nous éclaire.
Quand j’ai demandé l’amour, le vrai, pas celui qu’on rêve, mais celui qui vous bouscule, je croyais être prête.
Mais à l’intérieur, mes vieux mécanismes veillaient encore.
La peur de perdre, le besoin d’être rassurée, l’envie de fuir avant d’être abandonnée.
Et alors, la vie m’a répondu. Non par une étreinte, mais par une mise à nu.
Je n’ai pas compris tout de suite. Je pensais que c’était une punition, une ironie cruelle. Mais non. C’était juste l’univers qui me montrait :
Regarde, c’est ici que ça bloque. Si tu veux aimer, il faut passer par là.
Et j’ai compris. L’univers répond toujours. Mais, parfois, il commence par nous tendre un miroir, et ce miroir-là ne ment pas. Il nous montre ce qui n’est pas encore ajusté en nous. Pas pour nous condamner, mais pour nous rappeler que ce que nous appelons doit d’abord vibrer en nous. Pas dans les mots, dans l’Être.
Tu dis vouloir la paix… mais la portes-tu encore quand tout t’irrite ?
Tu appelles l’amour… mais le laisses-tu vivre en toi-même quand il ne vient pas ?
Tu réclames l’abondance… mais n’abrites-tu pas encore, en toi, la peur du manque ?
La vie, parfois, nous interroge à voix basse.
Elle ne nous donne pas ce que nous voulons, pas tout de suite.
Elle nous façonne, nous pousse à descendre en nous, jusqu’à ce que nos souhaits ne soient plus des illusions, mais l’écho fidèle de ce que nous devenons.
Alors j’apprends, lentement, à ne plus demander, mais à devenir.
Devenir la paix, même dans l’agitation.
Devenir l’amour, même dans l’absence.
Devenir l’abondance, même quand rien ne vient.
Et peut-être que recevoir, au fond, commence là.
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