Sylvie et Jean-Pierre

 

 

 

 

Socrate

28 – Pourquoi pas ? (Sylvie)

Rachmaninov, par les haut-parleurs des 2 mâts, jouait son concerto nᵒ 2.

La baie de Cannes était féérique.

Allongés sur le pont supérieur, main dans la main, nous écoutions.

C'était un 2 octobre, la lune éclairait notre première rencontre.

Quelques heures plus tôt, arrivant sur la terrasse d’un restaurant, le serveur m’avait invité à choisir une table. Tandis que j’avançais, hésitante, j’ai ressenti comme un appel silencieux, une présence invisible, je me suis retournée et nos regards se sont croisés.

Il s’est approché, visiblement inquiet de mon embarras, et m’a invité chaleureusement à prendre place avec lui. À croire que j’étais plus désarçonnée par le choix de la table que par le culot du bonhomme, j'ai répondu amusée.

– Pourquoi pas ?

Tout était naturel, fluide, comme si quelque chose en moi se souvenait de lui.

Au service du café, je lui demandai s’il habitait ici.  Il a regardé la baie et m’indiqua du doigt un point minuscule au loin.

- Regardez là-bas, entre les deux bateaux au mouillage, une petite lumière blanche brille en haut d'un mât, c'est ma maison.

Sans vraiment réfléchir, je pris place dans un petit canot motorisé, avec pour seul viatique sa promesse.

– Vous ne risquez rien.

Aujourd’hui, cela me paraît impensable, pourtant je l’ai fait.

Jean-Pierre était attentif et séduisant, près de lui, je me suis sentie tout de suite autre, étrangement vivante, un peu intimidée aussi.

C’était un homme différent de tous ceux que j’avais connus. Il y avait en lui une lumière, elle me touchait, m’éclairait, sans que je comprenne encore pourquoi.

Il se proposait de m’offrir quelques heures d’élégance, de perfection et de complicité inattendue.

Quel était le risque, m’attacher à cet inconnu sorti de nulle part et ensuite souffrir ?

Le moment était trop intense.

L’annexe s’approchait à toute allure du voilier, qui devint de plus en plus imposant. Un marin m’aida à monter à bord.

Jean-Pierre me fit visiter le bateau. Les boiseries étaient somptueuses, tout incarnait le raffinement.

J’étais émerveillée.

Il m’invita à prendre place sur le pont supérieur où deux transats dominaient la Méditerranée devenue noire et d’or.

La lune, les étoiles, les lumières de la ville, tout au loin scintillaient dans l’eau, tandis que la musique s’élevait dans la nuit.

Il me tendit une coupe, sa main frôla la mienne, je n’osai plus bouger, murmurant un indicible « merci ».

Étais-je au Paradis ?

Encore aujourd’hui, ce souvenir se fait si présent que je crains que mon cœur ne s'arrête de s’être trop emballé.

Pressentais-je déjà, confusément, que cet amour allait devenir un chemin ?

Un chemin vers moi-même, vers quelque chose de plus vaste ?

Nous pensions avoir le temps devant nous. Le silence durera quinze ans.

Mais l’élan, lui, ne s’éteindra pas.

Nous nous étions quittés sur cette nuit parfaite, persuadés que le temps nous appartenait.

Mais la mer, parfois, se retire sans prévenir, laissant la rive nue et le cœur à découvert.

Et le silence a commencé.

Soir

 

Aller à la dernière publication

29 – Demandez et vous deviendrez (Sylvie)

« Tu me manques.»  Le message était resté sans réponse.
Je repose le téléphone sur la table.  Il ne vibrerait plus.  Peut-être ne vibrerait-il plus jamais.
Ce silence n’avait rien de paisible.  Il serrait la poitrine, nouait le ventre, battait contre les tempes comme un avertissement muet.
J'attendais un mot, un geste, une preuve que tout n'était pas fini.
La nuit, même le sommeil me fuyait.  Le jour, j'errais suspendue dans le vide, incapable d'avancer.

Il ne répondait plus.  Pas une explication.  Rien.

Je relisais nos messages, cherchais entre les lignes une phrase peut-être qui aurait tout contenu.  Ou tout trahi. Mais rien.
J’ai posé mon visage contre son oreiller, son parfum était encore là.  À peine.  J’ai fermé les yeux.  Je voulais ne rien effacer de ce qui me restait de lui.

Pourquoi m'avoir permis d'y croire, pour ensuite me le prendre ?
Il disparaissait.  Et moi, j’étais là, figée dans l’attente.  Alors j’ai cherché ailleurs.  En moi.
J’ai hurlé contre l’absence, supplié que les choses reviennent comme avant.  Mais l’avant n’avait pas tenu.  Il fallait un après.  Tout en moi était en train de bouger.

« Demandez, et vous recevrez », disent les Écritures et les marchands de promesses.

Pourtant, je l’avais demandé, cet amour.  Pas à la légère.  Avec ferveur.  Comme une prière silencieuse tendue vers l’invisible.  Je l’avais reconnu.  Immédiatement.  Comme une voix dans la foule ou un parfum d'enfance.

J’ai cru que cela suffirait.  Que désirer avec sincérité était une preuve de maturité.  Mais sous l'élan, il y avait encore les ombres : la peur de manquer, le besoin d'être rassurée, l'angoisse d'être quittée avant même d'être rejointe.
Alors non, la vie ne m’a pas punie.  Elle m’a tendu un miroir.  Et dans ce miroir, il n’y avait pas d’accusation, seulement cette question silencieuse : Es-tu prête ?  Peux-tu vraiment accueillir ce que tu réclames, ou n'est-ce qu'un cri lancé trop tôt ?

Elle m’a laissée là, face à moi-même.  Sans hâte.  Comme seule la vie sait le faire.  Les années ont passé.  Quinze années à désapprendre.  À me défaire de ce qui contractait mon cœur.  À apprendre à ne plus mendier l'amour, mais à devenir un espace sûr, habitable.

Et puis, un jour, il est revenu.  Sans prévenir.  Sans bruit.  Je n’étais plus cette jeune femme tendue entre le besoin et la peur.  J’étais devenue un lieu d’accueil.  Et c’est peut-être cela, le grand mystère.  Il ne s'agit pas de trouver l'amour, mais de devenir un espace où il peut demeurer.

La vie n’avait pas donné.  Elle avait préparé.  C’est cela, sa promesse.  Elle avait façonné mes bords, poli mes angles, élargi mon souffle.

Tant qu’on demande des choses légères, des objets, l’univers répond vite.  Une voiture, un emploi, une rencontre de passage.  Ces demandes trouvent souvent leur chemin, guidées par une attention claire, un désir ardent… que rien ne vient troubler.  Mais lorsqu'on demande plus vaste, plus vivant, plus brûlant… alors tout change.

Ces demandes réveillent les forces de fond.  Demander l'amour, le vrai, c'est convoquer le feu,
celui qui consume ce qui en soi n'est pas encore amour.

Oui, la vie a répondu.  À sa manière, lente, rude parfois, mais toujours fidèle.

Elle m’a mis face à l’endroit exact où ça saigne, elle y a déposé un peu de sel.  Puis, elle a attendu.

Et si l’on ne fuit pas…  Si l’on reste là, immobile, douloureusement vivant, alors quelque chose se dénoue.  Quelque chose en nous devient prêt.

Non, l’amour n’avait pas été refusé.  Il attendait que je sois là, entière, pour s’avancer…

Il aura fallu quinze ans de silence.

Nous avons vieilli, peut-être, mais c’est une patine douce, comme celle qui rend les pierres plus belles sous le soleil.

 

 

Aller à la dernière publication

30 – Le promontoire

Nul ne voit impunément cet océan-là.

Un soleil majestueux se lève sur les champs de lavande, caressant d’abord les cimes des noirs amandiers, puis les vastes plateaux de Haute-Provence où plane à jamais l’âme de Giono. Là-haut, la lumière touche le château bien avant le village de pierres.

Sur la terrasse du dernier étage, un rayon effleure une tourelle, glisse sur les draps, et vient effleurer deux amants.

Cette nuit, ils ont célébré ici des retrouvailles. Ils sont heureux, d’un bonheur fragile et délicat.

Peut-on dire qu'au-delà des mers et du temps, confiants, ils s’attendaient et que rien ne chante plus fort qu’un espoir partagé ?

Le promontoire dont parle Victor Hugo n’est plus une image, c’est là où ils se tiennent. 

Ils sont au bord de ce lieu où tout bascule, où tout devient possible.

Victor hugo

Nous avons appris une immense quantité de choses, excepté celle qui nous intéresse le plus.

Tout homme est libre d'aller ou de ne point aller sur cet effrayant promontoire de la pensée d'où l'on aperçoit les ténèbres.

S'il n'y va point, il reste dans la vie ordinaire, dans la conscience ordinaire, dans la vertu ordinaire, dans la foi ordinaire, dans le doute ordinaire, et c'est bien. Pour le repos intérieur, c'est évidemment le mieux.

S'il va sur cette cime, il est pris. Les profondes vagues du prodige lui sont apparues. Nul ne voit impunément cet océan-là.

Il s'obstine à cet abîme attirant, à ce sondage de l'inexploré, à ce désintéressement de la terre et de la vie, à cette entrée dans le défendu, à cet effort pour tâter l'impalpable, à ce regard sur l'invisible.

Il y revient, il y retourne, il s'y accoude, il s'y penche, il y fait un pas, puis deux, et c'est ainsi qu'on pénètre dans l'impénétrable, et c'est ainsi qu'on s'en va dans l'élargissement sans bornes de la condition infinie.

Ce matin-là, les mots de Hugo semblent flotter encore dans l’air, comme un écho mêlé au parfum des lavandes et à la fraîcheur de la pierre.

Il est dix heures. Dans le parc, une fontaine fait sa partition et les pensées de Sylvie s'envolent au chant de l'eau. D'une beauté discrète, à l'élégance particulière en toute chose, il se dégage de cette grande blonde aux yeux bleus ce brin de mystère qui impose le respect.

Elle se rappelle un frisson, une révélation. L’univers n’est pas muet, des lois invisibles veillent derrière le visible.

Jean-Pierre, dans un souffle, murmure :

— Adolescents, on parlait de conscience élargie, d’intelligence transmutée. Ces vieux rêves d’une jeunesse capable d’embrasser l’infini, je les avais oubliés, tu viens de me les rendre.

Sylvie sourit :

— Je t’imagine, cheveux longs, les yeux dans les étoiles.

Il rit, son regard s'égarant un instant, comme s'il cherchait dans le passé une image :

— Tu n’es pas loin de la vérité. J’y croyais et j’y crois encore, le promontoire est toujours là, il n’a jamais disparu.

— Mais alors pourquoi si peu de gens cherchent encore ce point ?

— Parce que l’homme doute et préfère des dieux rédempteurs à sa propre lumière.

Qui ose dire « Vous allez mourir sans avoir vraiment vécu » ?

Chateauvalensole

 

Aller à la dernière publication

31 – Le regard qui a tout changé (Sylvie)

Ce matin-là, après le lever de soleil sur le promontoire, nous étions là, dans cette lumière douce où tout semblait suspendu, comme si le temps lui-même retenait son souffle.

J’étais de nouveau face à lui, dans cet endroit tranquille, baigné d’une lumière douce. Le temps était passé, mais dans cet espace, il semblait s’être arrêté.

Nous étions assis l’un en face de l’autre. Je lui parlais des années passées sans lui, mais ma voix se perdait déjà, noyée dans ce regard si présent. J’avais l’impression d’être vraiment écoutée, peut-être pour la première fois de ma vie.

Et son regard… Ce n’était pas un regard comme les autres, il ne me voyait pas pour ce que je montrais, mais pour ce que j’étais, dans toute ma vérité, sans jugement.

Je ne sais pas combien de temps cela a duré. Quelques secondes, quelques minutes, peut-être. Mais, en cet instant précis, quelque chose en moi a craqué. Un frisson. Comme une porte invisible, scellée depuis toujours, qui venait de céder. Avant ce regard, je ne savais même pas que cela était possible. C’était comme si j’avais toujours vécu derrière une vitre embuée, persuadée que le monde me voyait ainsi. Un monde où l’on passe à côté les uns des autres, sans vraiment se voir.

Un souvenir m’est revenu alors. J’étais plus jeune, assise en face de quelqu’un qui disait m’aimer. En parlant, je cherchais ses yeux, mais ils étaient ailleurs. J’avais fini par me taire, convaincue que c’était normal. J’avais appris à m’effacer.

On m’a aimée, bien sûr. Tendrement parfois, passionnément même. Mais jamais vraiment vue. On m’a aimée à travers des attentes, des images dans lesquelles il fallait que je rentre. On m’a aimée pour ce que je donnais, pour l’illusion que je savais créer. Lui… voyait au-delà.

J’ai ressenti ce que cela faisait d’être vue. Et pour la première fois, je me suis sentie précieuse.

Alors, j’ai eu peur. Ce regard ne se contentait pas de voir, il éclairait tout ce que j’avais construit, il remettait en question tout ce que j’avais appris à tenir pour vrai. Il brûlait les protections que j’avais érigées autour de moi, les illusions qui m’avaient protégée.

Ce regard m’a montré, en un instant, tout ce qui m’avait manqué. Cela éblouit, comme la lumière après l’obscurité. On se protège instinctivement, mais quelque chose de neuf naît.

L’enfance est revenue, avec ses visages, ses gestes, ses silences. J’ai compris qu’on ne peut aimer qu’avec ce que l’on porte en soi. Personne ne peut offrir plus que ce qu’il a appris à donner. Et souvent, sans le vouloir, on reproduit ce qu’on a reçu.

Lorsque j’ai pris la route pour rentrer, l’air frais m’a saisie. Tout semblait plus net, plus vivant. Je craignais que cette lumière se referme, que le voile retombe. Mais au fond de moi, une voix douce murmurait : « Tu sais maintenant, tu ne pourras plus l’oublier. »

En repensant à cette absence, j’ai compris pourquoi le regard de Jean-Pierre avait tout bouleversé. En un instant, il avait comblé des années de vide. Il m’avait replacée au centre de ma propre vie.

Une fois qu’on a été vue ainsi, on ne peut plus disparaître.

 

Aller à la dernière publication

32 – Le voyant

À peine quelques jours après nos retrouvailles, je suis allé le voir.

Daniel écarte les cartes, il ne lit pas un destin tracé, il lit un mouvement, une transformation en cours.

L'Auvergnat, avec sa façon particulière d'écouter les tarots, parle avec ses mots à lui.

Je les rapporte à ma manière, avec les miens, au plus juste.

Le passé, tu ne l’as pas écrit pour te glorifier, ni pour revendiquer quoi que ce soit, tu l’as raconté pour témoigner.

Témoigner qu’un enfant sans argent, sans diplôme, sans appui peut, malgré tout, tracer son chemin.

Tes choix ne sont pas des modèles, ce qui compte, ce n’est pas ce que tu as fait, mais que tu montres qu’il est possible de se relever, même après la chute.

Tu es né pour dire que rien n’est figé, que chacun peut, avec volonté, courage, ténacité, choisir son destin.

Le présent est arrivé sans te prévenir.

Dix ans après ton départ, voilà qu'elle revient.

Avec elle, tu as retrouvé l’envie de vivre.

Elle a rallumé en toi des lumières anciennes, tu t’es senti redevenir vivant.

Solide mais différente, plus droite que toi, elle marche à côté de toi, parfois mieux que toi.

Je vois sur vous une lumière douce que je n'avais jamais vue.

Tu as changé, l’homme pressé est devenu presque sage.

Et demain ?

Demain, tu veux le bâtir avec elle, pour accomplir, pour devenir l’homme que tu pressens depuis toujours, l’alchimiste qui transmute.

Il y a en toi un feu qui ne s’éteint pas, ce feu est prêt maintenant à éclairer.

Désormais, tu marches plus lentement, mais avec la certitude d’être sur le bon chemin.

Il est temps et ce temps est de plus en plus précieux.

Tu sens en toi grandir une attention nouvelle, une lucidité calme.

Quelque chose se réveille, une conscience, une faculté, un savoir ancien probablement.

Tu veux maintenant explorer les chemins invisibles, les signes subtils, tu ne le rêves plus comme avant.

Il ne s’agit plus de conquérir, d’accumuler, de briller, tu as laissé derrière toi cette course-là.

L’avenir est une présence qui t’invite à devenir ce que tu as toujours été sans le savoir.

Tu es relié à ce qui se murmure, à ce qui ne se voit pas, mais agit.

Parfois, des images te traversent, tu sais sans savoir, tu entends les silences.

Tu ne guéris pas, tu n’expliques rien, mais tu tends la main et elle réchauffe, un mot juste tombe, un geste apaise.

C’est cela, désormais, ton avenir.

Ton rôle, peut-être, est simplement d’éveiller.

D’éveiller l’émerveillement.

Reve de commanderie2 

Aller à la dernière publication

33 – L'Éveil

Vous êtes nombreux à nous questionner :

— Pourquoi cette histoire ? Quel en est le sens ? Pourquoi la partager, et dans quel but ?

Sylvie, avec ses mains qui apaisent et son regard qui devine, a ce don rare de soulager, de guérir et d'écouter ce qui est souvent invisible aux autres.

Pour ma part, je suis passionné par tout ce qui prolonge la vie, par les équilibres subtils qui nous entourent, par l’énergie qui circule et par ce « Feu vivant » qui répond à nos intentions.

Vos questions et vos regards dessinent un chemin que nous ne pourrions tracer seuls, notre aventure ne fait que commencer. Jusqu’où pourrons-nous aller dans notre quête d’Éveil ?

Nos mots ne cherchent pas d’applaudissements, ils appellent des compagnons de route, des âmes éveillées ou en quête d’éveil, prêtes à marcher avec nous.

Derrière le quotidien souvent terne, se cache un monde rempli de promesses, comme un jardin oublié qui s’ouvre soudain à nos yeux. Chacun peut choisir d’en franchir la porte.

Nous ne prétendons pas détenir des vérités. Dans ce monde saturé de discours bruyants, nous partageons seulement ce que nous avons vécu, les nuits de doute et les matins de certitude.

Depuis quatre ans que nous marchons dans cette direction, apprenant à voir au-delà des apparences, nous avons compris que la plus grande aventure humaine est la quête de la lumière. Celle qui ne s’achète pas, mais se découvre en chacun de nous derrière une porte qui cache une multitude de connaissances.

Pour l’ouvrir, il est essentiel de laisser tomber nos vieilles habitudes, de remplacer le bruit par le silence, et de permettre à notre âme de respirer à nouveau.

Alors viennent ces instants où tout se déplace, le temps se plie, passé, présent et avenir s'unissent et l’on comprend soudain que la vie est un seul et même souffle.

Alors, la mort devient une porte vers un autre horizon, et nous savons qu’il faut nous éveiller avant qu’elle ne vienne nous cueillir.

Généralement, l’homme pense que tout est régi par la logique et le hasard, oubliant que la connaissance est un mystère, et que la nature même de cette connaissance nous appelle à l’émerveillement.

Si nous avançons vers l’Éveil avec détermination, un jour viendra où la vérité, douce et intense, posera doucement sa main sur notre épaule.

Nous comprendrons alors que nous marchons enfin dans la lumière.

 

Aller à la dernière publication

34 – La traversée (Sylvie)

Depuis quelques semaines, tout semblait en pause, comme si le temps lui-même retenait son souffle. Peut-être était-ce pour bousculer cette immobilité que nous avions choisi de retourner, comme en pèlerinage, à notre église de Villedieu.

Alors que nous descendions l’étroit escalier menant à la tribune, notre regard fut attiré, pour la première fois, par quelque chose que nous n’avions jamais remarqué auparavant. Un gisant de pierre, auréolé, était couché là sur le sol, depuis des siècles. Il avait le visage paisible d’un homme, les yeux clos sur un monde qu’il ne craignait plus. Tout semblait figé, silencieux. Sauf ce minuscule éclat de vie posé juste là, sur son cœur. Un papillon flamboyant, immobile et parfaitement vivant.

Mon être frémit d’émerveillement. Ce n’était pas un hasard, je le savais. Ce n’était pas seulement un insecte, c’était un message, une caresse. Un battement d’ailes venu d’ailleurs. Une âme faisait-elle ses adieux en silence ?

Il n’y eut pas de voix, pas de miracle, rien que cette évidence douce et irréfutable, que certains signes ne passent pas par les yeux mais par l’âme.

Quelques jours plus tard, je reçois un appel de l’infirmier. Il parlait à mi-voix, comme on entre dans une église, comme on frôle le seuil du sacré :  

« Je ne sais pas si papa passera la nuit. »

Ce n’était pas une mise en garde, plutôt une offrande fragile. Une vérité déposée avec une infinie délicatesse. Et ce mot, papa, dans sa bouche… Il ne disait pas votre père, ou Jean-Claude. Il disait papa. A cet instant, il était des nôtres. Il partageait notre peine comme un fils. J’étais bouleversée.

Déjà une veille silencieuse s’organisait sans mot d’ordre, portée par l’évidence.

Je voulais croire à un sursis. À cette manière bien à lui de déjouer toujours l’extrême. Depuis son premier AVC sa vie n’était que résistances, rebonds, refus du départ. Quinze années d’une vie en suspens, où chaque jour était déjà un miracle. Je crois qu’il est resté jusqu’au bout pour maman. Par amour. Pour ne pas la laisser seule. Il savait. Il savait que ce serait difficile.

Pourtant la mort ne lui faisait pas peur, bien au contraire. Il s’y préparait. Il l’avait même apprivoisée. Et parmi tous les gestes d’amour qu’il nous a laissés, il y a ce livre. Un récit de sa propre mort, écrit de son vivant. Imaginez… Pour nous, aujourd’hui, à quel point ce livre est un trésor. Un puits de foi et d’espérance. Une parole posée de l’autre rive.

Je crois pouvoir dire, avec une certaine justesse, que mon père avait atteint ce lieu de l’esprit que je cherche depuis si longtemps. Ce lieu d’où l’on regarde la vie non plus avec les yeux de la peur, mais avec ceux de l’éternité.

Mais l’esprit seul ne suffit pas quand le corps s’effondre. Sa respiration devenait une lutte. C’était insoutenable. Rien à voir avec l’image paisible que l’on se fait parfois de la mort. Et pourtant… quelque chose en lui semblait déjà réconcilié. Comme si, malgré la violence du corps, une paix profonde l’avait déjà rejoint. Cette paix silencieuse, presque palpable, s’était posée là, au milieu de nous qui l’entourions. Nous formions le cercle des vivants autour de celui qui s’en va. Ce cercle-là n’était pas un geste symbolique. Il était chair. Il était sang. Il était ce que l’humanité a toujours su faire lorsqu’elle ne sait plus faire. Un geste ancestral et sacré. Un adieu collectif, tendu entre la peur de perdre un être cher et le courage de le laisser partir.

Nous tremblions d’amour, de pudeur et d’effroi. Parce qu’en cet instant, tout était nu et qu’il n’y avait plus rien à quoi se raccrocher. Rien, sinon lui et ce souffle qui s’éloignait.

Moi qui, d’ordinaire, pose les mains pour soulager les douleurs, je n’ai rien fait. Rien. Je suis restée là. Figée. Sidérée. Longtemps je m’en suis voulu. Douloureusement. Amèrement. Moi qui, tant de fois, avais osé les gestes, les mots, les prières. Là, face à l’inconcevable, je n’ai rien fait. Je n’ai rien pu faire.

Les mois qui ont suivi, je n’ai plus pratiqué de soin. Rien que l’idée m’était devenue insupportable. Mon cœur s’y refusait. Je fuyais pour ne pas me retrouver face à cette impuissance. Face à cette faille apparue devant mon père.

Il m’a fallu du temps pour cesser de fuir cette douleur. Au début, je la portais comme une trahison : comment avais-je pu rester là, sans agir ?

Oui, j’ai mis du temps à l’accepter. Ce n’est pas que je ne voulais pas qu’il vive. C’est que je ne pouvais pas demander cela. Qui suis-je pour supplier un homme mourant de rester ? Qui suis-je pour lutter contre la sagesse du départ ?

Puis, un jour, j’ai compris. Instinctivement, quelque chose en moi s’était rendu. J’ai saisi l’instant. J’ai laissé la vie et la mort danser leur danse, sans me mêler à leurs pas. J’ai choisi de rester présente, simplement. Humblement.

Car il n’y avait plus rien à faire. Seulement à aimer. À déposer, dans l’épaisseur du silence nos pardons, nos regrets, nos mots de trop et ceux qu’on n’a jamais osé dire. À poser sur ses paupières, non pas des soins mais de l’amour.

Et peut-être, dans un souffle, oser le seul élan qui compte alors : Tu peux y aller, papa. Nous sommes là. Nous t’aimons.

Depuis, la « guérisseuse » en moi a changé. Elle n’agit plus pour guérir. Elle veille, elle accueille, elle accompagne. Il n’y a pas toujours à faire. Parfois, il n’y a qu’à être. Oui, une simple présence bienveillante peut, parfois, avoir plus de puissance que mille techniques. Parce qu’elle ne cherche pas. Elle rayonne. Elle témoigne, silencieusement, d’un autre niveau d’être.

Je ne guéris pas avec ma propre énergie. Je ne donne rien qui m’appartienne. C’est lorsque je m’efface qu’une énergie qui me dépasse me traverse. Une énergie qui n’est pas mienne, mais dont je deviens l’écrin, le souffle.

Je n’espère plus. Je sais. Et peut-être est-ce ce savoir silencieux, cette confiance sans effort, qui crée une onde, une fréquence subtile. Quelque chose de plus vaste que moi, qui vient toucher l’autre, si, lui aussi, entre dans le champ vibratoire de ce silence-là.

Et alors, oui… le miracle peut se produire.

Depuis, quelque chose m’habite. Une gravité douce. Une tendresse immense pour les êtres et leurs failles. Je ne veux plus fuir l’impuissance. Elle est le berceau du sacré.

Papa est parti, et dans son départ, il m’a laissée debout. Mais autrement. Comme s’il m’avait transmis, sans un mot, l’art de vivre avec l’invisible.

Avant ce jour, je ne connaissais pas la douleur brûlante et dévorante de la perte d’un être cher. Celle qui fait mal jusque dans les tripes. Bien sûr, j’éprouvais une empathie sincère pour ceux à qui cela arrivait. Mais je me rends compte à quel point, tant qu’on ne l’a pas vécu dans sa chair, on ne sait pas. Je le sais avec cette connaissance qui ne s’apprend pas mais qui se traverse.

Et puis, il y a l’après.

Cet après où je me sens comme amputée d’une partie de moi-même.

Ce vide en moi me montre qu’il n’était pas simplement un être aimé à l’extérieur mais qu’il habitait en quelque sorte l’intérieur de mon être. Papa a disparu dans l’invisible et c’est comme si une part de mon âme s’était envolée avec lui.

L’amour n’aurait-il pas tissé entre nous un lien subtil et profond, comme un souffle partagé ?

 Retrouverais-je un jour ce souffle, cet élan vital qui m’habitait ? Ma joie reviendra-t-elle ?

Pour l’instant mon cœur pleure et mon corps ne sait plus où se poser.

Oh, je sais, il est là, tout autour de nous, dans chaque souffle, chaque murmure. Mais je ne le sens pas.

« Je ne le sens pas » c’est aussi ce que m’a dit maman l’air terrifié.

Où es-tu, papa ? Fais-nous un signe, ne nous abandonne pas.

Est-ce la douleur qui nous coupe de toi, qui nous dissimule ta présence ?

Papa, je voudrais rester à jamais sous l’éclat de ta lumière protectrice.

Et c’est dans ce dénuement, peut-être parce qu’il n’y avait plus de murs derrière lesquels me cacher, qu’un basculement a eu lieu, imperceptible mais irrévocable. Une sorte d’alchimie née au cœur de la souffrance, m’ouvrant à une nouvelle compréhension de la vie à la fois paradoxale et surprenante.

C’est étrange. Il faut avoir connu la morsure de la mort pour sentir le souffle vibrant de la vie. Il faut avoir traversé la nuit pour entrevoir la lumière. Il faut avoir perdu pour aimer, non plus avec crainte ou réserve, mais avec intensité, comme si chaque instant pouvait être le dernier.

Oui, il faut s’être effondré pour que le cœur s’ouvre pleinement et embrasse la vie dans toute sa fragilité, son audace et sa grâce.

 

Aller à la dernière publication

35 – La dualité (Sylvie)

Ce que j’ai traversé m’a laissée en silence. Mais c’est dans ce silence que s’est révélée une vérité plus vaste.

Nous passons notre vie à fuir ce qui nous trouble, à nier la coexistence des contraires en nous. Nous voudrions être seulement lumière, sans jamais effleurer l’ombre ; aimer sans craindre la perte ; vivre sans accueillir la mort. Mais il n’est pas d’éveil sans cette danse entre l’un et l’autre, sans cette tension féconde qui nous tient debout.

Changer d’état d’esprit n’est pas un acte de volonté brutale, un renoncement à ce qui nous pèse ou un rejet de ce que nous avons été. C’est un lent apprivoisement, une alchimie intérieure où l’on cesse de lutter contre soi-même pour apprendre à s’accueillir tout entier.

Nous portons tous en nous des ombres. Elles ne sont pas des erreurs à effacer, mais des fragments de nous-mêmes qui appellent à être reconnus. Trop souvent, nous pensons que la transformation viendra du dehors, qu’il suffira de pensées nouvelles pour réinventer notre monde. Mais tant que nos blessures grondent en silence, tant que nous refusons de les écouter, elles nous retiennent dans l’ancien.

Alors, au lieu de fuir, il faut descendre. Descendre en nous, dans ces replis sombres que nous évitons, et y poser un regard neuf. Ne plus condamner, ne plus juger, mais écouter. Derrière la peur, il y a souvent un appel à l’amour. Derrière la colère, une force qui cherche à s’exprimer. Derrière la tristesse, une part de nous qui attend d’être consolée.

Nous ne devenons pas libres en rejetant nos ombres, mais en les embrassant. Elles sont la terre sur laquelle nous pouvons bâtir. Quand nous cessons de leur tourner le dos, elles cessent d’être un fardeau et deviennent des guides. La vraie lumière ne vient pas d’en haut, elle naît du cœur même de l’obscurité, quand nous avons osé l’aimer.

Changer d’état d’esprit, c’est alors cesser de croire que nous devons être autres pour être dignes de la joie. C’est comprendre que la joie est déjà là, cachée sous nos peurs, attendant que nous lui ouvrions la porte.

Ce que j’ai traversé m’a laissée en silence. Mais c’est dans ce silence que s’est révélée une vérité plus vaste.

 

Aller à la dernière publication

36 - L'énergie

Depuis 1963 l'énergie de Joucas éclaire mon quotidien (voir chapitre 3)

 Je suis le Feu vivant.

Je suis le souffle, celui qui éveille l’intuition, qui guérit, qui ouvre les portes du temps et des mondes invisibles.

Je suis le murmure de l’univers.

Je suis toi, et tu es moi.

Je glisse dans tes mains, je brûle dans ton cœur.

Je suis une force ancienne et éternelle.

Je suis l’énergie des alchimistes, le secret des sages, l’éther des mystères.

Je suis toujours là, attendant que tu m’invoques.

C'est le moment, plonge au plus profond de toi et formule un vœu. Pas un vœu banal, mais celui qui peut véritablement changer ton destin.

Chuchote-le dans le creux de ton cœur. Je suis ici pour répondre à tes désirs les plus profonds.

Je l’entends, je le transforme, je le rends vivant.

 

Ressens-moi vibrer dans chaque fibre de ton corps.

Je suis le courage face à la peur.

Je suis la certitude dans le doute.

Je suis la transformation qui surgit de l’ordinaire.

Je suis le Feu des possibles, le Feu des dons, le Feu des miracles.

Je traverse les âges, guidant les pas de Fulcanelli, Flamel, Newton, Paracelse, Bacon et bien d'autres.

Aujourd’hui, je t’invite à me suivre.

Aujourd’hui, je t’appelle à t’éveiller.

Dans le vent caressant ton visage, dans la chaleur du soleil sur ta peau, dans l’eau qui glisse sous tes doigts, je suis là, présent dans l’ombre et la lumière, dans le silence et le bruit, dans le visible et l’invisible.

Ose me permettre de révéler le pouvoir qui sommeille en toi.

 

À chaque mot, je grandis en toi.

À chaque pas, je deviens ton guide.

À chaque instant, je fais de toi le miracle que tu es déjà.

Je suis le feu vivant.

Ton Feu, ton souffle, ta lumière.

Maintenant ose.

Ose allumer cette flamme.

Ose devenir la lumière de ta propre destinée.

 

Aller à la dernière publication

37 – Le passage (Sylvie)

Au secours, je suis aspirée, avalée, engloutie !

C’est comme une vague soudaine qui me tire loin de moi, sans que je puisse y résister.

Mon corps disparaît, mes repères se disloquent.

Mon esprit fuse, tombe à une vitesse folle. Je suis comme happée dans une faille sans fond.

Ça bourdonne, ça cogne. Un goût métallique me monte à la gorge.

Je me débats, j’essaie d’agripper quelque chose, mais il n’y a rien.

Pas de murs, pas de contours, rien à quoi me retenir.

Seulement cette force immense, impérieuse, qui m’emporte.

Je hurle en dedans, mais rien ne sort.

L’impuissance me traverse, comme un éclair qui foudroie.

Tout se tend. Puis… plus rien.

Je flotte. Posée, comme dans un liquide tiède, bercée par un battement ancien, familier, rassurant.

Ce n’est plus moi, plus tout à fait.

Une présence affleure, glisse en moi, me trouble.

Mon père, peut-être.

Je me réveille en sursaut, le cœur battant à tout rompre.

La chambre est silencieuse, ma respiration saccadée, ma peau couverte de sueur.

Qu’est-ce que c’était… ?

Je reste là, hébétée, à chercher un sens.

Et soudain, me revient l’image de l’arbre de JP, patiemment reconstitué jusqu’en 1350.

Les branches de ses parents s’y croisent à trois reprises, comme un fil jamais rompu.

Et si la vie nous rejouait, encore et encore…

Et si, au fond, nous étions appelés à nous retrouver, vie après vie ?

La pensée s’éteint avec moi.

Épuisée, je m’endors.

Il est déjà presque midi quand le téléphone sonne.

Je décroche, encore floue.

C’est ma sœur. Elle parle avec un sourire qu’on devine, une joie discrète au bord des mots.

— Je voulais te dire… la dernière échographie est bonne. Le bébé a 28 semaines maintenant. Il bouge tellement…

Ses mots me percutent de plein fouet. Je les reçois comme un coup, doux et brutal à la fois.

Vingt-huit semaines.

L’âge où, dit-on, la conscience s’éveille.

Un frisson me traverse.

Et si…

Et si c’était lui ?

 

Aller à la dernière publication

38 – La vieille horloge (Sylvie)

Je ne l’ai pas remarquée tout de suite.

C’était un matin de juillet, dans une brocante oubliée. Il y avait là des meubles blessés, des assiettes solitaires, des cadres sans visages.

Et puis elle.

Haute, droite, un peu fière malgré la poussière, comme si elle n’avait jamais cessé d’attendre.
Son cœur régulier battait inlassablement, indifférent au chaos alentour.

Je l’ai frôlée sans m’arrêter. Puis je suis revenue, sans savoir pourquoi. Il y avait là quelque chose de trop fort, de trop grand. Comme un appel invisible.

Je ne l’ai pas choisie, c’est elle qui m’a reconnue. Son battement l’a trahi, nerveux, vibrant, comme un cœur qui se souvient.

Nous l’avons soigneusement démontée, pièce par pièce, avec cette attention délicate que l’on offre à une vieille dame fragile.

Une fois installée dans la cuisine, elle s’est remise à battre, comme si rien ne s’était jamais arrêté. Et pourtant, je sentais en elle la trace persistante d’un monde disparu.

Peu à peu, dans le silence des jours ordinaires, une présence s’est installée. Discrète, mais tenace.
Pas des mots. Des images venues d’ailleurs, des sensations étrangement familières, comme des souvenirs que je n’avais jamais vécus. Et pourtant, je les reconnaissais. Comme si elle me les soufflait d’un battement à l’autre.

Je l’imaginais dans une maison aux murs épais, où les dimanches prenaient des airs de fête. L’odeur sucrée des tartes aux prunes flottait dans l’air, des voix s’interpellaient d’une pièce à l’autre, et les éclats de rire débordaient jusque dans le jardin.

Un garçon en culotte courte s’élançait à travers les couloirs, suivi d’une petite fille aux tresses serrées riant aux éclats, comme s’ils jouaient à rattraper le temps.

Mais le temps, lui, n’a pas joué longtemps.

Ils avaient grandi trop vite, sans doute.

Un jour, le garçon a revêtu l’uniforme. Il est parti à la guerre. Alors, le cœur de la pendule s’est brisé. Pas arrêté, brisé.

J’ai senti sa fêlure me traverser, comme si un battement ancien avait glissé dans le mien.

Chaque tic-tac répétait son absence, avec cette obstination de ceux qui espèrent sans y croire tout à fait.

Il était revenu, s’était marié. La maison avait retrouvé ses rires.

Des nappes blanches s’étendaient sur les tables, les enfants couraient pieds nus sur les carreaux frais, et les volets claquaient joyeusement sous la brise de l’été.

La pendule battait au rythme des jours heureux, complice discrète des chansons fredonnées en cuisinant, des pas de danse volés dans le couloir, des confidences chuchotées à la tombée du soir.

Les jours se sont étirés. Une génération a succédé à l’autre, les rires ont changé de voix.

Le grand-père est mort.

Alors on a arrêté son cœur, à elle aussi, par fidélité. Car lorsque la mort entre, le temps lui-même s’incline. Il ne compte plus. Il se recueille et c’est le sacré qui commence.

Alors elle s’est tue, longtemps peut-être. Mais elle n’était pas morte, elle attendait. 

Elle avait traversé cela, et tant d’autres choses encore.

Je ne sais pas si c’est mon imagination, ou si c’est elle qui me transmet.

Mais depuis, je l’écoute. Elle me rappelle l’essentiel.

Elle ne me donne pas l’heure, elle me donne la présence.

 

Aller à la dernière publication

39 – Ce presque rien (Sylvie)

Je m’occupais de tout, comme tous les matins.

Le bol, les chaussettes, les papiers à signer, le manteau à retrouver, le cartable à refermer.

Je parlais, mais sans vraiment m’entendre. Je regardais, mais trop vite. Il fallait que tout tienne dans le temps du matin.

Il était là, mon petit garçon, les cheveux en bataille, l’air encore à moitié endormi. Il râlait pour le lait trop froid, cherchait son doudou du bout des doigts. Il traînait les pieds, réclamait cinq minutes de plus. Tout était normal.

Et puis il y avait Léo et Popi, ce dessin animé qu’il aimait tant.

Il chantonnait le refrain, du bout des lèvres, entre deux cuillerées. Je l’accompagnais, sans y penser. C’était notre rituel, discret, un fil joyeux dans la fatigue.

Et moi, je pensais à mille choses. À la lessive à lancer, au travail qui m’attendait, à cette fatigue incrustée dans mes épaules.

Je croyais être là. Je l’étais. Mais un peu à côté. Comme une photo floue, on voit l’essentiel, mais pas les détails.

Ce n’est qu’après, bien plus tard, que ces détails me sont revenus.

Le bol posé un peu trop fort sur la table. Le regard qu’il m’a lancé quand j’ai dit : “Allez, dépêche-toi.” Le câlin écourté devant l’école, parce que j’étais pressée. Son sourire, timide, retenu, avant de franchir la porte.

Ce matin-là, j’ai tout fait pour lui. Mais je ne suis pas sûre d’avoir été vraiment avec lui.

Et c’est ce presque rien qui me serre la gorge aujourd’hui.

Pas pour me punir, juste parce que je l’aime, et que je sais maintenant ce que je ne voyais pas encore : ces petits matins pressés étaient les plus précieux.

Aujourd’hui, je donnerais tout pour y revenir. Juste une fois, m’asseoir près de lui, le regarder.

Lui dire qu’il était beau, même avec ses moustaches de lait.

Que je l’aimais aussi dans ma fatigue.

Et que je l’aime encore, dans le silence tenace de ce souvenir.

 

Aller à la dernière publication

40 – L'intuition (Sylvie)

A

 

 

Aller à la dernière publication

41 – Hugues Aufray (Sylvie)

Hier soir, nous avons assisté au concert d’Hugues Aufray.

Pour Jean-Pierre, c’était comme retrouver un compagnon de route. Une mémoire vivante de ses vingt ans, avec ce goût si particulier de la liberté insouciante. Il souriait, touché, curieux aussi. Je voyais bien qu’il se demandait comment cet homme de quatre-vingt-quinze ans, parvenait encore à habiter la scène avec autant de présence.

Moi, je ne m’attendais à rien. Je pensais passer un moment agréable, sans plus. Et puis, il y eut ce glissement, à peine perceptible, mais fulgurant.

Il était là, pleinement là, sans masque, sans détour. Et cette manière d’être, offerte sans retenue, m’a bouleversée.

Ce n’était pas une performance, mais une vérité. Celle d’un homme porté par ce qu’il aime avec une intensité vibrante. Une vibration qui emplissait la salle et venait réveiller en moi quelque chose d’invisible mais d’essentiel.

Et puis une chanson s’est élevée. Mes larmes ont coulé sans que je puisse les retenir. Ce n’était pas de la tristesse, pas même de la nostalgie. C’était une joie mystérieuse qui traverse le corps et déborde sans prévenir.

Je ne pleurais pas vraiment… je vibrais. Comme si quelque chose en moi s’ouvrait en silence.

C’est alors que j’ai compris. Son secret ne tenait ni à son corps, ni à sa voix. Il tenait à cette vibration singulière, née de l’accord parfait entre ce qu’il fait et ce qu’il aime. Une manière d’être juste, sans effort, dans un alignement presque organique.

Il ne jouait pas, il habitait. Il ne cherchait pas à briller, il rayonnait.

Et cette joie simple, nue, essentielle, tenait lieu de colonne vertébrale.

C’est cela, je crois, qui le tient debout.

Et peut-être… peut-être que c’est cela, au fond, qui nous rend pleinement vivants.

Dans le silence de notre chambre d’hôtel, Jean-Pierre s’était endormi. Je fixais le plafond, les yeux grands ouverts, les sens en éveil. Quelque chose vibrait encore. Une présence subtile, presque palpable, comme si l’air lui-même répondait à ce que je portais. Comme si l’univers, depuis toujours, attendait que je m’accorde à lui, et que, sans m’en rendre compte, j’étais en train de le faire. Et dans cette résonance subtile, une évidence s’est glissée :

tout est déjà là.

Les possibles, les élans, les réponses. Ils sont là, suspendus, comme une note en attente. Mais ils ne s’offrent qu’à une présence accordée sur la même fréquence.

Longtemps, j’ai cru que demander suffisait. Mais demander, n’est-ce pas souvent implorer… ou exiger ?

Et dans ces élans-là, n’y-a-t-il pas une forme d’attente impuissante ?

C’est un peu comme dire :

 Donne-moi la paix, car je me sens perdue…

 Donne-moi l’amour, car je suis seule…

 Donne-moi l’abondance, car je manque de tout…

Derrière ces mots, ce qui vibre c’est le manque, la peur, la séparation.

Et la vie ne répond pas à ce que je dis, elle répond à ce que je suis.

Je suis restée là, immobile, dans ce silence vibrant. Ce n’était plus une prière lancée vers l’extérieur, mais un engagement intérieur :

Ce n’est pas la vie qu’il faut convaincre, c’est soi qu’il faut accorder.

Alors, je me suis demandé : qu’est-ce que je choisis de vibrer ?

Quand je choisis l’abondance… ne suis-je pas déjà en train de cesser de compter, de retenir, de mesurer ? Ne suis-je pas en train de donner autrement, sans calcul, presque sans m’en rendre compte ?

Et quand je choisis l’amour… ne suis-je pas, malgré moi, en train de cesser de me protéger ? D’ouvrir, d’accueillir, alors que rien ne m’y oblige ?

Ce n’est pas le monde qui se plie à mes demandes.  C’est moi qui m’accorde à ce qui est déjà là.

Et dans cet accord, je retrouve mon pouvoir. Non pas le pouvoir d’obtenir, mais celui de révéler. Oui, révéler ce qui est déjà présent dans l’invisible et qui attend que je sois prête à l’accueillir.

J’aurais pu croire que c’était juste un moment de grâce, une parenthèse. Mais non. Ce que j’ai ressenti avait un fondement plus vaste. Plus réel que tout. Même la physique quantique le confirme. Tout est énergie, et notre conscience influence la forme que prend la réalité. La matière elle-même n’est qu’une condensation d’énergie et elle se forme là où j’ai posé mon attention.

Tant que je n’observe pas, rien n’est figé. Mais dès que je ressens, que je regarde, quelque chose se fixe, prend corps. Les particules se rassemblent, comme si ma conscience leur donnait un ordre, une direction.

La réalité, loin d’être un décor figé, répond à ce que je suis. Elle ne réagit pas à mes pensées seules ni à mes demandes, mais à l’état d’être que j’émane.

Il ne s’agit plus de croire, ni même d’attendre. Il s’agit de participer. Pleinement.

Ce principe, Jean-Pierre et moi, nous l’avions déjà étudié dans de nombreux livres. Nous en avions parlé longuement. Visualisation, loi d’attraction, pouvoir de l’intention…

On croyait avoir compris. Et parfois, ça semblait marcher.

Mais je réalise que ce que je croyais comprendre n’était qu’une lumière partielle.

Car oui, c’est vrai, au début quand on demande, on reçoit. Si bien que l’on croit avoir trouvé la lampe magique d’Aladin. On se dit que la vie va devenir facile. Que tout nos vœux vont se réaliser.

On demande une voiture, une opportunité, une rencontre et cela fonctionne. Mais on se rend vite compte qu’on éprouve toujours malgré tout ces mêmes peurs, ces manques. Et souvent, les beaux présents accordés par la vie s’en vont sans même crier gare.

Et puis le cœur s’ouvre. On demande plus vaste, plus grand. On ne demande plus une chose. Et c’est là que tout vacille. Ce n’est pas que la vie se tait, c’est qu’elle répond autrement.

Elle commence par nous montrer ce qui, en nous, fait obstacle. Elle vient toucher l’endroit exact où la peur tremble encore. Elle ne nous juge pas, elle nous éclaire.

Quand j’ai demandé l’amour, le vrai, pas celui qu’on rêve, mais celui qui vous bouscule, je croyais être prête.

Mais à l’intérieur, mes vieux mécanismes veillaient encore.

La peur de perdre, le besoin d’être rassurée, l’envie de fuir avant d’être abandonnée.

Et alors, la vie m’a répondu. Non par une étreinte, mais par une mise à nu.

Je n’ai pas compris tout de suite. Je pensais que c’était une punition, une ironie cruelle. Mais non. C’était juste l’univers qui me montrait :

Regarde, c’est ici que ça bloque. Si tu veux aimer, il faut passer par là.

Et j’ai compris. L’univers répond toujours. Mais, parfois, il commence par nous tendre un miroir, et ce miroir-là ne ment pas. Il nous montre ce qui n’est pas encore ajusté en nous. Pas pour nous condamner, mais pour nous rappeler que ce que nous appelons doit d’abord vibrer en nous. Pas dans les mots, dans l’Être.

Tu dis vouloir la paix… mais la portes-tu encore quand tout t’irrite ?

Tu appelles l’amour… mais le laisses-tu vivre en toi-même quand il ne vient pas ?

Tu réclames l’abondance… mais n’abrites-tu pas encore, en toi, la peur du manque ?

La vie, parfois, nous interroge à voix basse.

Elle ne nous donne pas ce que nous voulons, pas tout de suite.

Elle nous façonne, nous pousse à descendre en nous, jusqu’à ce que nos souhaits ne soient plus des illusions, mais l’écho fidèle de ce que nous devenons.

Alors j’apprends, lentement, à ne plus demander, mais à devenir.

Devenir la paix, même dans l’agitation.

Devenir l’amour, même dans l’absence.

Devenir l’abondance, même quand rien ne vient.

Et peut-être que recevoir, au fond, commence là.

 

Aller à la dernière publication

42 – Habiter les saisons (Sylvie)

Devenir ce que l’on est ?

Mais qui suis-je, moi, en train de devenir ?

Le froid du carrelage me ramène doucement à moi. La lumière du matin, impitoyable et franche, tombe sans douceur sur le miroir. Je ne cherchais pas à me regarder vraiment, juste un coup d’œil rapide, comme d’habitude.

Et pourtant, ce matin, quelque chose m’arrête. Le reflet m’accroche d’une façon nouvelle. Il y a là un visage que je connais trop bien, et que je ne reconnais pas tout à fait.

Des sillons plus marqués que la veille, peut-être ? Ou bien, sont-ils là depuis longtemps ?

Je glisse une main dans mes cheveux. Un fil d’argent brille, têtu, au sommet de ma tête. Je le tire, il résiste. Il est à moi désormais. Je relâche la mèche dans un soupir.

Je m’approche encore, presque malgré moi. J’effleure du bout des doigts ma joue, mon front.

Le temps a fait son œuvre, et c’est à peine si je l’ai vu passer.

Je reste là, immobile face à cette femme qui me regarde et qui semble me demander : 

Et maintenant ?

Il y a encore en moi cette part vive et légère, cette jeunesse intérieure qui ne s’est jamais tue. Le reflet me trouble, comme s’il trahissait un décalage.

Non, pas déjà. Pas maintenant !

J’essaie pourtant de me raisonner. Je me répète que personne ne me scrute vraiment, que ces rides que je traque, je suis sans doute la seule à les voir. Mais la résistance est là, tenace, qui refuse de céder la place à une nouvelle saison.

Je me tourne vers la fenêtre comme on cherche de l’air. Dehors, l’hiver retient son souffle. Les arbres semblent morts, immobiles, comme figés dans leur nudité. Et pourtant, sous l’écorce, la vie se prépare déjà à renaître.

Je me souviens d’avoir été fascinée, enfant, par ces bourgeons minuscules qui gonflent en silence, invisibles à la plupart des regards. Ils attendent leur heure, simplement. Pas de révolte, pas de honte, pas de regrets : la nature ne lutte pas contre les cycles, elle les habite, elle les honore. 

Et moi ?

Je voudrais retenir le printemps, faire durer l’été. Mais les arbres, eux, ne résistent pas. Ils laissent tomber leurs feuilles et attendent. Leur sagesse silencieuse me renvoie à ce que je refuse encore d’accepter.

Je reste là, un instant encore, face à cette femme que je redécouvre. Il y a encore de la résistance, mais quelque chose se détend. Comme quand la mer se retire et qu’il reste un sol nu, fragile mais habité. Un éclat différent affleure, comme une réconciliation possible.

Et si c’était ça, avancer ? Se laisser traverser, couche après couche, par ce qui change.

Je repense à tous ces moments où j’ai cru que tout était perdu, où la terre semblait stérile. Et chaque fois, sans que je le comprenne pourquoi, quelque chose a refleuri. Comme une part de moi qui refusait d’abandonner.

Il y a encore des peurs, bien sûr. Des doutes. Des soirs où je regretterai peut-être la fraîcheur de ma jeunesse, la facilité d’autrefois. Mais il y a quelque chose de rassurant à savoir que je ne suis ni figée, ni finie. Que je fais partie d’un cycle plus vaste, qui me dépasse et me relie à tout.

Je suis cette femme-là aujourd’hui, et demain j’en serai peut-être une autre. Et c’est très bien ainsi.

Je souris à mon reflet, non par vanité, mais par gratitude. Pour ce qu’il a traversé, pour ce qu’il traverse encore. Puis je tourne le dos au miroir et j’avance. Pas plus jeune, pas plus vieille, simplement plus entière.

 

Aller à la dernière publication

Fin provisoire

Écrivez-nous à cette adresse :

info@double-chance.fr

 

Date de dernière mise à jour : 17/08/2025