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Le premier jour, au volant d’une Ford Escort break, vêtu du costume de mariage et de la cravate un peu trop serrée du représentant débutant, j’ai pris la route.
À propos du mariage, me revient une anecdote fondatrice. Sans elle, cette histoire n’existerait pas.
Notre projet de couple, hérité des illusions de 1968, simple et grand à la fois, était d’acheter une ferme, de devenir éleveurs de moutons, pour vivre en marge, au rythme des saisons.
Nous étions sincères. Tellement sincères qu’avec Édouard, mon beau-père, nous sommes allés visiter une exploitation sur les hauts plateaux, à la frontière de l’Ardèche et de la Haute-Loire.
Cent hectares, des ruines battues par le vent, un froid immense, tout comme ce bout du monde.
Et puis, il y a eu ce cadeau, ce voyage de noces offert par les parents de Jean-François, mon témoin.
Ils nous ont confié leur appartement à Orcières-Merlette, une station de ski élégante, sur les crêtes des Alpes du Sud.
Il m’est difficile aujourd’hui de dire avec précision ce qui s’est passé en moi, là-haut.
C’était un bouleversement silencieux, un choc venu de l’intérieur.
Nous étions plongés, pour quelques jours, dans un univers de confort, de beauté, de possibles.
Une autre vie, un autre monde. C’est là que quelque chose s’est retourné.
Le vent, en soufflant sur la neige et sur mes certitudes, a balayé les rêves d’élevage et les fumées de l’utopie.
Au fond de moi, dans un coin de silence, une mémoire s’est réveillée, celle de la Commanderie à Joucas.
Souvenez-vous… la magie du 1er janvier 1962.
Comme un rappel à l’ordre du destin, la famille Barrielle, une fois encore, m’a montré la direction.
Mais revenons à la cravate trop serrée, au premier matin d’un vendeur de machines agricoles qui ne connaissait rien à son nouveau métier.
Rien des terres, des machines, des moteurs, des techniques.
Mais j’avais ma volonté, ma faim d’apprendre, et cette conviction intime que je pouvais réussir si je me montrais digne, présent, tenace.
Il restait alors, dans quelques villages, de vrais maréchaux-ferrants.
Si parfois encore, ils ferrent un cheval, leur activité s’était recentrée sur la réparation et la vente de matériel.
Ils étaient les relais naturels des vendeurs. Ils aiguillaient, recommandaient, ouvraient les portes.
Généreusement, ils ont tendu la main à ce jeune venu se confronter aux besoins des agriculteurs. Je garde un immense respect pour ces hommes d’un autre temps.
L’un d’eux, à l’angle de la place de Caromb, dans une petite forge sombre, suie au mur, charrues sur le trottoir, m’indiqua un viticulteur habitant le village qui avait un projet.
Mon premier client.
Ce dernier n’était pas pressé de se séparer de son vieux Fordson. Alors il m’écoutait, me testait.
Pendant des semaines, je suis venu presque chaque jour. Il posait des questions et corrigeait mes réponses, prospectus en main. Il m’apprenait. « Combien de chevaux ? Combien de cylindres ? »
Peu à peu, une relation s’est nouée. C’était une famille unie, et j’en faisais partie. Repas partagés, bouteilles vidées, récits échangés, inquiétudes confiées.
Une fois la vente conclue, à ma grande surprise, ils sont venus un dimanche à Oppède voir « le gars qui ne venait plus. »
C’est avec cette soif-là, cette fidélité, ce respect du temps des autres, que j’ai parcouru les fermes du Vaucluse et de la Drôme, du matin jusqu’à la nuit. De Malaucène à Carpentras, d’Orange à Buis-les-Baronnies, j’étais partout, infatigable.
Et puis, en marge de ce travail officiel, j’ai bâti un petit commerce avec l’accord tacite de la direction. J’avançais, pas à pas, rachetant les reprises de vieilles machines qui encombraient la concession, parfois à moitié avec les forgerons.
À Mormoiron, au pied du mont Ventoux, j’ai même échangé un appareil contre une maison du village.
L’immobilier ne quitte plus celui qui connaît son goût… Si bien qu’avec dix mille francs prêtés par Célesta, ma belle-mère, j’ai acquis l’immeuble mitoyen.
Bref, âgé alors de 25 ans, si la richesse était encore lointaine, nous ne manquions de rien. Marianne, ma fille adorée était née le 22 juillet 1973, j’abritais ma famille dans une belle villa de Vaison-la-Romaine, mes voitures étaient neuves.
Fin 1975, lors d’un concours entre vendeurs organisé par Massey-Ferguson France, j’ai remporté l’un des premiers prix : tous les équipements de ski pour une famille qui n’en avait jamais vu, et ignorait tout de la neige !
Fier, n’en doutez pas, nous sommes partis, skis sur le toit, pour un mois entier.
Devinez où ?
À Orcières-Merlette, évidemment.
Le lieu où tout avait basculé. La boucle était bouclée.
Et puis vint l’inattendu. par Monsieur Pinchon, le représentant de la Compagnie, un homme droit et généreux, qui m’avait pris sous son aile. Son concessionnaire de Mâcon cherchait un chef des ventes, il me proposa naturellement à ce poste.
Une nouvelle aventure, un autre cap.
Un pas de plus vers le sommet.
Pour un siège à la droite de Dieu.
Une voie a alors murmuré « tout plaisir et toute douleur, ainsi que toute illusion, n’existe nul part ailleurs que dans ton esprit. A toi de créer ton destin, avance sans te retourner. »
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