Sylvie et Jean-Pierre

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Post 1 du 22 juin 2025

Je suis né le 25 décembre, une date symbolique, mais somme toute ordinaire, partagée chaque année par plus de 300 000 personnes.

Un incident inattendu marque le jour de mon baptême, glissant des bras de la nourrice, ma tête a heurté une des défenses des fonts baptismaux. Depuis, une cicatrice blanche en forme de croix orne mon front et s’efface avec le temps. Ma mère, lorsqu'elle évoquait l'événement, tremblait encore. Elle parlait de la vue du sang, de l'arrivée des secours, de l'angoisse du curé et de la panique de la famille. Cet incident, bien que marquant, n'a rien d'extraordinaire. Ma survie, en un sens, reflète la banalité de la vie dans laquelle les accidents jalonnent le quotidien de chacun.

En repensant à cette anecdote, je revois la cour de l'école d'un petit village de Provence. Je me souviens des moqueries des autres enfants, non seulement à cause de la croix sur mon front, mais aussi à cause de la pauvreté de ma famille. J'avais 10 ans, indifférent aux railleries, je rêvais d’un avenir radieux, loin de me douter que le destin me réservait un futur extraordinaire. Mère avait toujours raison.

Plus tard, je partagerai quelques moments décisifs de la vie de l'adulte que je suis devenu : les réussites et les épreuves qui m’ont mené à comprendre que le destin n'est pas simplement une ligne tracée par le passé. Il tire sa force de nos rêves. Si chacun se construit de manière unique, il m'est apparu essentiel d’apprendre et de transmettre, ce qui permet à certains de s’épanouir tandis que d’autres peinent.

Comment traverser plusieurs vies au sein d'une seule existence ?

C’est autour de cette question que ce récit prend toute sa dimension. Le travail, la réflexion, prennent leur sens lorsqu’ils révèlent que nous avons le pouvoir de façonner notre avenir, et même d'influer sur notre passé. En transformant nos hypothèses en réalités tangibles, nous devenons les maîtres de notre propre destin.

La force de mes rêves m’a porté, durant quarante ans, au cœur d’un monde extraordinaire. Mais un matin, ce monde m’a paru étrangement décalé, et dans ce désarroi, j’ai abandonné mes rêves. C’est ainsi que j’ai tout perdu.

La chute a commencé en avril 2014 au rez-de-chaussée d'un bâtiment moderne de la Cité administrative. Dans ce hall qui fait office de salle d'attente, nous sommes une trentaine, tous patrons, tous accompagnés d'un de nos salariés. Tous affichant une sérénité de façade alors que la nuit a été courte.

Dans cette salle moderne et froide, je suis comme un poisson assourdi par le bruit du ressac. Certains échangent des sourires et discutent, mais je remarque le regard inquiet de celui qui se tient à mes côtés. Laurent est notre Directeur technique, un homme compétent et respecté. Je me souviens de ses conseils avisés lors des moments difficiles et sa présence me rassure. Aujourd'hui, son air préoccupé trahit une tension palpable. Je le sais tracassé par tous les chantiers en cours et pour les entreprises sous-traitantes. Ces cauchemars qui envahissent nos nuits. Je croise le regard d'un commerçant que j'ai rencontré au Lions Club. Son signe d'accablement me touche et je sais ce qu'il traverse. Nous sommes tous ici, unis par le même sentiment d'incertitude, mais chacun porte son propre fardeau. Ses enfants sont dans l'entreprise, que vont-ils devenir ?

Que va devenir mon fils ?

Lorsque notre tour arrive, nous entrons dans une petite salle où une dizaine de magistrats nous attendent.

La Présidente, élégante et sympathique, résume la situation en quelques mots. Mais je me sens incapable de parler, de lui répondre. Je suis perdu. Les larmes débordent de mes yeux et m'étouffent, impossibles à retenir. Tous les regards se tournent vers moi avec étonnement, mon désespoir les surprend. La Présidente tente de me rassurer, mais je sens que ma vulnérabilité la déstabilise.

Dans ce tribunal de commerce, ma situation est banale, mais pour moi, c'est une mort, un monde qui s'effondre. Quarante ans de vie disparaissent dans une procédure qui condamne des entreprises, souvent victimes d'un banquier et d'une administration sans conscience. Je me souviens avoir crié silencieusement :

– Pourquoi m'as-tu abandonné ?

Le personnel est licencié et doit quitter l'entreprise. L'accès aux locaux nous est interdit, tous les éléments matériels et immatériels appartiennent désormais au liquidateur judiciaire. Je pense à mes employés, à leurs visages, à leurs familles.

Circulez, il n'y a plus rien à voir.

Tel un fantôme, comme un fugitif, vedette déchue, je quitte discrètement famille et amis, maison et souvenirs. La Lamborghini abandonnée dans le parking de l'hôtel témoignera longtemps d'un passé révolu. Symbole des succès et de la fragilité de ceux-ci, ce jouet est l'image même des pertes et des désillusions.

Détresse, mère de tous les doutes, dis-moi ce qui nous définit vraiment, nos succès ou nos échecs ?

Me reviennent curieusement quelques mots d'un auteur dont j'ai oublié le nom, je lui en demande pardon. « La force d'un homme se mesure dans sa capacité de se relever quand il tombe. » Cette phrase veut-elle me dire que si un homme n'est jamais tombé, comment peut-il prétendre être fort ?

Je ne sais pas si le souvenir de cette citation me rassure, mais qu'elle est bonne pour le moral en ce sombre dimanche.

Un panneau indique « Orange 70 km », il me reste 30 minutes pour faire un choix. À gauche, l'Italie et ses horizons peuplés de souvenirs, à droite, l'Espagne et l'inconnu. La Camarde Noire barre à droite, au vent mauvais.

- Pourquoi m'as-tu abandonné à ce cadavre décharné ? Quelle est l'erreur que je n'aurais pas dû commettre ?

Tu m'as toujours remis sur le bon chemin lorsque je m'égarais, tu étais là pour corriger mes erreurs et guider mes pas. Tu m'as abandonné alors que je t'utilisais avec parcimonie, pourquoi est-tu partie quand j'avais tant besoin de toi ?

Toi, force sans nom qui pourvois à mes besoins et me protèges depuis ma naissance. Petit à petit, timidement, tu m'as ouvert des portes. Grâce à toi, j'ai repoussé mes limites et réalisé mes rêves. Chance, pouvoir ou providence, peu importe ton nom, présence discrète et constante, je t'invoquais rarement et te remerciais toujours. Comment vais-je exister sans toi, qui saura m'apprendre à vivre ?

C'était hier. En dix ans, rien ne s'efface, rien n'est jamais perdu.

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Post 2 du 24 juin 2025

Geant2

Avant que les hommes connaissent le nom de Christ, avant même que les Romains foulent ces terres, les falaises de Finisterre marquaient la frontière du monde. Là où l’océan dévore le soleil chaque soir, les anciens Celtes dressaient des cercles de pierre et murmuraient aux esprits du couchant.

Dans ces temps obscurs, une légende circulait parmi les peuples des côtes, un géant venu de l’Atlantique approcherait un jour, voguant non sur un navire de bois, mais sur une barque de pierre, sculptée dans la roche des fonds marins.

Un soir d’équinoxe, alors que les vents mugissaient et que les vagues s’élevaient comme des murs d’écume, ils l’ont vu. Une silhouette immense fendait les eaux, ses yeux brillants reflétant les dernières lueurs du jour. Sa peau était sombre comme les falaises, marbrée d’algues et d’éclats d’écorce.

Les hommes et les femmes du rivage, d’abord terrifiés, ont compris qu’il ne venait pas pour détruire. Il portait en lui l’empreinte du cosmos, une sagesse plus ancienne que les dieux eux-mêmes.

Les druides l’ont guidé jusqu’au sommet du cap. Là, ils ont dressé un cercle de pierres où, selon la légende, le géant enseigna les secrets du temps, le cycle des morts et des renaissances, les portes ouvertes aux âmes défuntes, le rôle des vivants comme gardiens de l’équilibre.

Pendant sept jours et sept nuits, le géant resta. Il contemplait l’horizon, parlait aux étoiles, posait ses mains larges comme des troncs sur les pierres sacrées, les marquant à jamais de sa présence.

Certains disent qu’il a gravé des runes perdues, d’autres qu’il a déposé un talisman dans les entrailles de la terre.

Puis, au matin du huitième jour, il est retourné à sa barque de pierre. Sans un mot, il a levé les yeux vers le ciel, a tendu une main immense vers les druides, bénédiction ou adieu, nul ne sait, et a repris la mer.

On raconte qu’il navigua toujours vers l’ouest, vers les îles des Bienheureux, là où seuls les immortels peuvent résider.

Quand des siècles plus tard, les pèlerins chrétiens vinrent honorer saint Jacques, on leur parla d’un autre visiteur, oublié, dont les traces restaient cachées sous les nouvelles légendes.

Car à "Finisterre", les vieilles histoires ne meurent jamais, elles dorment sous les pierres, sous les vagues, prêtes à se réveiller quand le monde aura de nouveau besoin de leurs vérités oubliées.

Et certains soirs, lorsque le soleil couchant embrase l’océan d’un feu rouge sang, il paraît que l’on voit, très loin, au large, une silhouette colossale qui marche lentement vers les terres, portée par une barque de pierre, revenant rappeler aux hommes qu’ils ne sont jamais seuls sur cette terre de passage.

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Post 3 du 6 juillet 2025

Commanderie2

Vente Luberon, Commanderie des Templiers du XIIᵉ siècle.

Construite en position dominante au sommet d'un petit village, cette bâtisse a été acquise dans les années 50 par des Parisiens qui l'avaient remise en état pour y habiter pendant une cinquantaine d'années. Ce bien a été vendu au propriétaire actuel en 2006, qui a entrepris des travaux pharaoniques durant quatre ans. Le résultat en fait une propriété unique avec un niveau de finition et de confort exceptionnel !

Si cet été vous êtes en Provence, Joucas et la Commanderie méritent un détour. Cette bâtisse est l’une des premières clés qui a façonné ce que je suis. Elle marque le début d'une vie formidable et généreuse. Lire cette annonce m’invite à vous raconter.

C'est une histoire que je veux vous faire partager, au plus près, au plus juste, avec la joie de l'enfant et l'immense regret de l'adulte qui n'a pas le pouvoir de remercier ceux que l'agence appelle des « Parisiens ». Ils étaient, en vérité, des humanistes raffinés, généreux, élégants et philanthropes.

Évidemment, si la mémoire est imparfaite, l'essentiel est tellement important qu'il reste inoubliable. Si des images, des attitudes, des sentiments, des odeurs et des musiques sont toujours présents, des prénoms et des visages manquent.

Pardonnez-moi, vous autres !

La fin d'après-midi est grise, la Citroën DS roule bon train dans la longue ligne droite entre Le Chêne et Gordes. L’aîné des garçons, beau et rieur, conduit allègrement.

À l’avant, les quatre plus âgés sont entassés. Sur la banquette arrière, je suis coincé entre mon ami Jean-François et d’autres cousines et cousins. Les os saillants de mes maigres fesses font râler celui qui me supporte. C’est un autre monde.

Nous sommes le 31 décembre 1961, j’ai 12 ans.

Mère a trouvé une petite location sur les hauteurs d'Apt afin de me permettre d'entrer au couvent des Cordeliers, le collège. Femme fière, elle protège sa marmaille afin que rien ne paraisse. Mais l’un des premiers jours de décembre, des messieurs du Lions Club sont venus les bras chargés de la nourriture collectée dans les supermarchés.

Parmi ces messieurs, il en est un dont la propriété est proche et le cœur très grand. Si bien que, le soir de Noël, par un sentier propice, les trois gamins sermonnés à sa suite, mère nous a guidés dans cette famille d'industriels qui avait ajouté quatre couverts à une immense table réunissant, outre leurs cinq enfants, des grands-parents magnifiques.

L’accueil et la gentillesse simple que l’on imagine réservés aux membres d’une vraie famille, pour un Noël inimaginable de tendresse.

Madame et Monsieur BARRIELLE, si le paradis existe, les meilleures places vous sont assurément réservées.

Ces mots sont une prière adressée à vos âmes, qui m'ont tant marqué. Encore aujourd'hui, en contant ces souvenirs, je suis touché par une émotion intense que je n'oublierai jamais.

De ce soir magique est née une amitié qui explique la présence incongrue de mes fesses pointues, ce dernier jour de l'année, dans cette DS sur la route de Joucas.

De ce 1ᵉʳ janvier 1962 est restée une évidence : soixante ans n'ont rien effacé, ce garçon n'est pas comme les autres, à la fois étranger et visiteur, il n'arrivera pas à leur ressembler.

Pourtant, ce monde qui ne sera jamais le mien m'accueille avec une chaleur inattendue, et c'est ainsi que je découvre la maison des enfants.

Oui, inimaginable pour moi, vous vous en doutez bien, la maison des enfants, c’est le nom donné à cette demeure de vacances réservée aux cousins de Jean-François. Sur la place du village, elle est habitée d'un piano et d'un dortoir.

Lorsque viendra l'heure du dîner, par une étroite ruelle et une porte dérobée, la joyeuse bande rejoindra les adultes dans la salle à manger de la Commanderie.

De ces heures, j’ai le souvenir et les images d’une jeunesse brillante dans un monde fait de culture et de beauté. Jusqu'au petit matin, les grands se succèdent au clavier pour un jazz de blues et de rythme. Indifférents à moi, ils jouent avec insouciance, mais pour moi, ces notes sont des clés, des ouvertures vers quelque chose de plus grand.

Il ne s'agit pas de les imiter, d'être aussi brillant ou d'un quelconque besoin d'appartenance. Ce qu'ils m'ont généreusement offert par cette belle nuit, c'est la certitude que mes différences font ma force, que les clés du pouvoir sont dans la boîte à gants.

Voilà pourquoi cette maison est bien plus qu’un simple bâtiment. C’est le lieu d’un tournant, d’une découverte. Lire cette annonce, c'est comme retrouver ce gamin que j'étais, avec tout ce qu'il rêvait de devenir.

La timidité me prive souvent de l'usage de la parole. Plus encore alors, tout esbaudi à regarder et à écouter, je mesurais la distance du chemin qui conduisait au succès. En présence de l'intelligence, je bafouille tellement qu'un jour, mon fils, homme beau et cultivé, a exprimé le regret d'avoir un père incapable d'aligner trois phrases. Je n'en suis pas attristé, c'est un fait.

Bref, c'est sans intérêt, revenons à cette fin d'année 1962, à ce moment de transition d'un monde à un autre. Si ces mots et leur sens m’étaient inconnus, si j’étais loin d’imaginer qu'il existait des rites et des passages, je savais que demain rien ne serait plus comme avant.

Ces souvenirs font partie de moi, vous les confier fait battre mon cœur plus fort, comme si je retrouvais à nouveau cet enfant émerveillé. Ce que je dois vous rapporter, c’est la prodigieuse énergie qu’elle m’a permis d’engranger. Encore aujourd’hui, je suis toujours attablé pour un éternel réveillon dans cette salle à manger de pierres, sans arriver à tout dépenser.

Nous sommes capables de libérer la magie que nous recelons en nous, alors laissons nos rêves nous porter vers des demains dans lesquels le passé et le présent se rencontrent enfin.

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Post 4 du 8 juillet 2025

Melons2

Je me souviens de ce printemps 1963, pédalant au petit matin vers cette ferme entre Cazeneuve et Saignon, vers mon premier emploi, vers ces champs en bordure du Calavon.

Lorsque le patron démarre le tracteur, une dizaine de paires d’yeux noirs me regardent curieusement me hisser en enfilade sur le plateau de la remorque.

Ces hommes au teint mat qui, je le sais, ne parlent pas ma langue, sont intrigués par la présence de ce gamin dans ce monde qui n’est pas le sien.

Alors âgé de 13 ans, cette sensation de différence, je la perçois déjà, comme aujourd'hui, écrivant 60 ans plus tard.

À chaque halte, dans un marocain que je ne comprends évidemment pas, chacun est égrené dans de vastes étendues.

Je sursaute lorsque vient mon tour « C'est ton champ, prépare les plants comme tu as appris hier, je repasse te chercher ce soir. »

Bizarrement, je ne suis pas triste, c'est un sentiment de fierté qui monte en moi.

Dans la poussière du tracteur qui s’éloigne, gamelle et binette en mains, je regarde « mon champ ».

Je saurai vingt ans plus tard que sa surface n'est que d'un hectare, alors que cette étendue paraît immense à mes yeux d’adolescent.

Des jours de solitude avec des milliers de plants de melons donnent à réfléchir.

Alors même si je n’avais pas la moindre possibilité d'imaginer ce que la vie me réservait, je ne doutais pas le moins du monde qu’elle serait fantastique.

Une profonde rage de gagner, la certitude que rien ne résiste à une détermination, la croyance en une chance innée, sont des forces permettant tous les espoirs sans laisser de place au doute.

Plus tard, à 14 ans révolus, je suis élevé du statut d'ouvrier agricole à celui d'apprenti.

En attendant mon heure, j'alimente le poêle à sciure d'un sombre atelier d'une étroite ruelle d'Apt.

Entouré le soir venu par ces artistes philosophes que comptait alors le Luberon, je fais mes humanités.

Une époque formidable avec pour maître Jean Gelin, un homme tout aussi formidable que je vous conterais peut-être.

Les ciels des nuits, des terres et des mers de quelques bouts du monde me parlent souvent des promesses de ce champ de melons.

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Post 5 du 9 juillet 2025

Cavalcade

S'il y a en moi cette assurance innée, ce don mystérieux de transformer mes pensées en réalité, de capter cette énergie subtile qui me guide depuis l'adolescence, c'est sans doute parce qu'il existe des souvenirs qui marquent au fer rouge, non pas parce qu'ils sont bruyants ou spectaculaires, mais parce qu'ils vibrent encore, longtemps après, au fond de notre poitrine.

Ce dimanche-là, la ville d'Apt vibrait d'une agitation joyeuse, c'était jour de cavalcade, et les cours étaient animées d'un cortège coloré, de fanfares, de rires et de chevaux décorés. J’étais venu avec Jean-François Barrielle, mon ami de toujours, et ses deux sœurs.

Ce dimanche vit toujours en moi comme s’il s’était déroulé hier. J’avais 14 ans, j’étais un jeune apprenti ébéniste, déscolarisé trop tôt, timide, un peu perdu, encore à la recherche de ma place dans un monde d’adultes dont les codes m’échappaient.

Et puis, elle est apparue.

Une jeune gitane, à peine plus âgée que moi, est sortie de la foule comme on sort d’un rêve. Ses yeux sombres brillaient d’une intensité étrange, elle est venue droit vers moi, comme si elle m’avait reconnu. Elle a saisi ma main, m’a fixé longuement, avec un mélange de peur et de fascination, puis, dans un souffle : « Toi, tu seras riche et célèbre. »

Elle n'a rien ajouté, elle s'est éclipsée aussi vite qu'elle était venue.

Jean-François s’était retourné, intrigué, mais je n’ai rien dit, j’ai gardé ces mots pour moi, comme un secret précieux. J’étais bien trop pudique, trop superstitieux, pour oser les répéter.

Et puis, qui aurait pu y croire, moi un gamin d'atelier, réservé et sans avenir, promis à la richesse et à la célébrité ?

Cela avait quelque chose d'absurde, c'était une promesse insensée, un avenir que je n'osais même pas imaginer.

Mais ses mots, gravés dans mon esprit d’adolescent, ont déposé une étincelle dans le tumulte de mes incertitudes, ils m’ont donné la force de croire en moi, d’oser rêver, d’affronter mes peurs. Chaque fois que je doutais, que je me perdais, je repensais à cette rencontre fulgurante, à cette voyante d’un jour qui, sans le savoir, m’avait donné un cap.

J’ai connu les échecs, les remises en question, les retours en arrière, j’ai dû recommencer plusieurs fois, repartir de zéro, apprendre de nouvelles choses.

Mais chaque détour me ramenait à moi, je n’étais pas encore « riche » ni « célèbre » mais je m’approchais d’autre chose, d’une forme de justesse.

J'avais compris que l'important n'était pas le sommet, mais la montée.

J’ai rencontré des gens lumineux, d’autres blessés, j’ai perdu, recommencé, je n’étais plus un jeune homme confus, j’étais un homme en chemin.

Soixante ans plus tard, je comprends enfin le sens profond de cette promesse.

La richesse et la célébrité ne se mesurent pas en biens matériels ou en renommée, elles résident dans notre capacité à grandir, à se réinventer, à guérir les blessures du passé avec le courage de ceux qui, un jour, ont cru en l'impossible.

Écrire ces lignes, c’est remonter le fil d’un voyage intérieur, c’est honorer la prophétie d’une gitane qui, par un geste et quelques mots, a changé le cours de ma vie.

C’est refermer un cercle, c’est parler à l’enfant que j’étais, à l’adolescent perdu, à l’homme qui doutait.

C'est aussi remercier cette gitane inconnue qui, par une simple phrase, a semé une graine d'espoir en moi, graine que je vous offre avec la même conviction.

Peut-être n'était-elle qu'un symbole, un reflet de notre propre potentiel, peu importe, sa promesse a été tenue.

J'ai appris à écouter, à créer, à tendre la main, j’ai transformé mes failles en force, mon histoire en message, mon silence en parole.

Et cela vaut tout l'or du monde.

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Post 6 du 10 juillet 2025

Mere

Pere

Revenons un instant à l’origine, à ces croyances minuscules, mais tenaces, qui chaque jour, donnent forme à l’avenir.

Mon père a quitté ce monde en 1955, emportant avec lui la douce vie que notre mère avait toujours connue. Au fil des années, j’ai appris à connaître cet homme par son absence, par les silences qu’il a laissés derrière lui, par une histoire qui continue de façonner l’homme que je suis devenu.

Fils cadet, il avait connu le séminaire avant d’y renoncer, n’y trouvant pas sa voie. Il s’est tourné vers la mer, ou plutôt, vers les profondeurs. Officier sous-marinier, héros discret de la Résistance, il poursuivit ensuite sa route dans les méandres de la magistrature, tout en accompagnant dans des projets de promotion un célèbre aristocrate du Jura. Mais l’immobilier ne pardonne pas l’absence, et son départ a englouti tous les actifs.

Aujourd’hui, j’ai sept ans. En ce début d’été 1957, au terme d’un long voyage, une femme diminuée par le handicap, alourdie par le poids de trois garçons dont je suis l’aîné, ouvre les volets d’une grande bastide endormie au pied du Luberon.

Une cousine au grand cœur nous a offert, pour un été, sa maison de vacances dans un village de Provence. Ce sera un court répit avant les années d’errance, les logements précaires, les saisons d’incertitude. Une pauvreté silencieuse et tenace s’installe, pour longtemps.

À sept ans, la misère, dans un pays de misère, ne pèse pas lourd. On la traverse sans trop de heurts. Mais pour notre mère, ce fut le début d’un long calvaire, des années de privations, de rancunes muettes, de faux-semblants portés comme des armures.

Alors, avec des morceaux de l’histoire familiale, notre mère a tissé pour nous une échappatoire. Non pas pour fuir, mais pour atténuer le choc. Pour ne plus sentir combien notre nouvelle condition de pauvres nous tenait à distance de nos familles, à la morgue insolente et fière.

Dans les ruines du château de Lacoste, je vais bâtir mes différences. À mes côtés, un ancêtre militaire venu de la grande Autriche, en route pour l’Amérique, qui trouva l’amour dans le Doubs et fonda notre lignée en 1799. Mère parlait de Charles Quint, de cousins aux Galapagos et aux États-Unis, de chevaliers… Et déjà, je rêve avec pour compagnons le fantôme d’un marquis et les infortunes de Justine pour horizon, je suis un étranger dans un monde qui m’est étranger peuplé de souvenirs, dont un, en particulier, que j’ai plaisir à vous raconter.

Le premier regard qui a obsédé mon enfance allait vers un rocher dressé au bord d’une falaise, dominant Clerval, le village de mes grands-parents maternels, dans l’Est de la France. Cet abrupt, disait Grand-mère, portait encore la trace du destin tragique de sa sœur, ma grand-tante, précipitée du sommet un soir des premiers errements de la guerre de 40.

Qui se souviendrait encore d’elle ?

Qui honorerait cette jeune fille née de petites gens aux visages noircis qui faisaient fuir les enfants, les derniers d’une lignée de charbonniers sombres dans des cabanes au fond de ces bois profonds devenus pour la circonstance des maquis ?

Vivre dans la fumée, dans les ténèbres des antres, occupés à trier des brindilles depuis les premiers pas, ne privait pas ces gens de la générosité des pauvres. Le crime de cette grand-tante méritant la mort est d’avoir offert un peu de soupe à des adolescents fiers de la devise de la Franche-Comté.

« Comtois, rends-toi, Nenni, ma foi ! »

Des hommes du canton s’autoproclamant porteurs d’une nouvelle vérité faisaient justice, des hommes dont le nom était prononcé à mi-voix et dont la crainte et la méfiance restent encore ancrées chez les rares survivants de nos familles d’autrefois : les communistes.

Aucune archive, des bribes d’histoire familiale, le souvenir de ces marmailles noires, du goudron noir que brasse l’air autour des meules de bois noir, de ces vies sans importance.

Marie, avec cette mine songeuse qui la rendait étrangement rassurante, expliquait le drame avec prudence « Au début, Hitler était copain avec Staline et les communistes cherchaient l’air à Moscou. »

Costa-Gavras a clos le film Z par ces mots « Ce n’est pas une histoire juste, c’est juste une histoire. »

Et ce sont ces histoires-là, incomplètes, tremblantes, qui écrivent la vie d’un enfant.

Ces histoires, ces éclats, ces blessures dessinent la trame de l’enfance. Elles n’expliquent rien, elles n’excusent rien. Les vies qui vont suivre ne sont que des vies ordinaires, les nôtres.

Rien n’appartient à l’homme, sinon la force de ses rêves. D’autres temps, d’autres récits viendront nourrir cette étrange construction. Mais déjà, sur ces fondations fragiles, les contours d’une vie se dessinent.

Seule une volonté inflexible, parfois surgie des profondeurs les plus obscures de l’être, peut infléchir le cours d’un destin. Chacun de nous porte en lui le pouvoir de façonner sa vie.

Alors, faites un vœu. Maintenant.

Suspendez votre lecture un instant.

Plongez au plus profond de vous-même et formulez un souhait capable de transformer votre destinée.

Par ce geste simple, vous marquerez un tournant.

Un premier pas vers ce voyage extraordinaire qui fut le mien.

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Post 1 de Sylvie du 11 juillet 2025

Au secours, je suis aspirée, avalée, engloutie !

C’est comme une vague soudaine qui me tire loin de moi, sans que je puisse y résister.

Mon corps disparaît, mes repères se disloquent.

Mon esprit fuse, tombe à une vitesse folle. Je suis comme happée dans une faille sans fond.

Ça bourdonne. Ça cogne. Un goût métallique me monte à la gorge.

Je me débats, j’essaie d’agripper quelque chose, mais il n’y a rien.

Pas de murs, pas de contours, rien à quoi me retenir.

Seulement cette force immense, impérieuse, qui m’emporte.

Je hurle en dedans. Mais rien ne sort.

L’impuissance me traverse, comme un éclair qui foudroie.

Tout se tend. Puis… plus rien.

Je flotte.

Posée, comme dans un liquide tiède, bercée par un battement ancien, familier, rassurant.

Ce n’est plus moi. Pas tout à fait.

Une présence affleure, glisse en moi, me trouble.

Mon père, peut-être.

Je me réveille en sursaut, le cœur battant à tout rompre.

La chambre est silencieuse.

Ma respiration saccadée, ma peau couverte de sueur.

Qu’est-ce que c’était… ?

Je reste là, hébétée, à chercher un sens.

Et soudain, me revient l’image de l’arbre de JP, patiemment reconstitué jusqu’en 1350.

Les branches de ses parents s’y croisent à trois reprises, comme un fil jamais rompu.

Et si la vie nous rejouait, encore et encore…

Et si, au fond, nous étions appelés à nous retrouver, vie après vie ?

La pensée s’éteint avec moi.

Épuisée, je m’endors.

Il est déjà presque midi quand le téléphone sonne.

Je décroche, encore floue.

C’est ma sœur.

Elle parle avec un sourire qu’on devine, une joie discrète au bord des mots.

— Je voulais te dire… la dernière échographie est bonne.

Le bébé a 28 semaines maintenant.

Il bouge tellement…

Ses mots me percutent de plein fouet.

Je les reçois comme un coup, doux et brutal à la fois.

Vingt-huit semaines.

L’âge où, dit-on, la conscience s’éveille.

Un frisson me traverse.

Et si…

Et si c’était lui ?

Sb

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Post 7 du 11 juillet 2025

1961Prémonition. Ce mot m’était inconnu en 1961.

Et pourtant, ce jour-là, quelque chose m’a traversé, une force muette, venue d’un lieu que je ne savais pas encore porter en moi.

Si aujourd’hui cette faculté m’accompagne comme une seconde peau, c’est sans doute parce que cette scène de mon enfance, fragile et fulgurante, m’a révélé qu’il existe, au cœur du silence, une autre manière de savoir.

Un savoir brut, qui précède la pensée. Un moment suspendu, où l’invisible agit sans prévenir.

Combien de sacrifices, combien de batailles la mère a livré pour loger enfin décemment sa marmaille ?

Le paradis, ce sont les cinq pièces à l'étage d'une maison dominant une ville de Provence aux accents d'autrefois, la fin des meublés et la joie de retrouver les quelques affaires d'une vie d'avant, d'avant l'enfer, d'avant la misère.

Durant cette année, l'année de ma sixième, un grand camion a déposé dans le garage les trésors d'un passé d'autant plus glorieux qu'il est peuplé de souvenirs d'une vie futile.

Par un bel après-midi, elle a décidé qu'après avoir puisé l'essentiel, il est temps d'oublier, de trier et de jeter les restes.

L'aîné que je suis est astreint à extraire et à déposer les cartons éventrés au pied de la mère, la Reine du jour.

Magnanimement, elle choisit ce qui doit être conservé et ce qui doit rejoindre le grand feu autour duquel dansent les jumeaux de trois ans mes cadets.

Le jardin, ou du moins ce qu'il en reste de cultivable, est grand de quelques centaines de mètres. Situé à droite de la villa, il est bordé d'un sentier et de talus d'amandiers. Cet enclos n'est ni accessible aux occupants du rez-de-chaussée ni à d'autres voisins aux maisons invisibles.

Mère trône à une table de jardin sous un catalpa, au loin le Luberon et à ses pieds les toits des quartiers en bordure du Calavon.

Le feu a été allumé plus loin, à une vingtaine de mètres de la maison, à l'emplacement d'une excavation qui devait être d'antan un petit bassin.

Consciencieusement, du garage à la table et de la table au feu, j'accomplis ma mission alors que les frères s'amusent de chaque embrasement avec insouciance.

Casse-coups, mauvaise graine, disait la rumeur du jeune adolescent de l'époque. C'est sans doute parce que j'étais plus dans l'action que dans le rêve que les secondes qui vont suivre sont encore autant présentes.

Je ne connais pas de mots pour raconter le trouble qui s'est emparé de moi.

Incapable de les commenter, je ne peux dire que les faits.

Ce jour-là, l’instinct m’a traversé comme un éclair.

Aucune pensée, aucun raisonnement.

J’ai saisi mes frères, les ai tirés sans mot dire.

Le feu a explosé derrière nous, libérant des cartouches oubliées, des éclats d’un passé caché.

La déflagration, l’éclat, c’est tout ce que j’ai vu, tout ce que j’ai vécu. Mais ensuite, quand j’ai tourné le regard vers ma mère, je n’ai pas trouvé de mots.

Seulement un silence. Un silence lourd et profond, un regard partagé.

Elle avait su. Je l’avais su. Avant.

Ce n’était pas une prémonition.

C’était une évidence qui n’avait pas besoin de mots. Juste un souffle, un frisson.

L’intuition m’avait guidé.

Et dans ce silence, le lien entre nous deux était plus fort que tout. Avant même que l’avenir ne vienne, je savais.

Mère, ma petite maman chérie, que je vous ai aimé.

Aujourd’hui, l’envie me vient parfois de partager ici, ou peut-être ailleurs, ce mince fil qui m’a relié, dès l’enfance, à ce que d’autres nomment intuition, pressentiment, sixième sens.

Mais l’heure n’est pas encore venue.

La grande faucheuse, que j’entrevois de temps en temps à l’horizon, me laisse encore du répit.

Il reste tant à dire, tant à écrire.

Tant de pas à poser sur ce chemin, pour éclairer d’autres visages, entrouvrir d’autres portes, et confier à ceux qui viendront les mystères que j’ai commencé, un jour, à entrevoir.

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Post 8 du 12 juillet 2025

Depuis le 22 juin, au retour d’un voyage au Finisterre, ce bout du monde en Espagne battu par les vents, j’écris ici des souvenirs.

À ma grande surprise, ces récits ont trouvé écho, vous êtes nombreux à lire mes publications, à sourire, à vous reconnaître parfois, et cela me touche profondément.

Alors, il me semble juste de vous dire pourquoi je raconte tout cela. Comprendre une histoire, c’est aussi en connaître l’origine, c’est de là que naît le sens.

Raconter sa vie n’est pas si simple, c’est parfois plus difficile que de la vivre. Et pourtant, il y a dans l’acte de transmission quelque chose d’essentiel.

Je n’écris pas pour enseigner, encore moins pour me mettre en avant, j’écris parce que ma vie, faite d’erreurs, de doutes, de trouvailles et de lumière, peut peut-être servir à d’autres.

J’écris avec l’humilité de celui qui continue à chercher et à évoluer.

Ce que je vous livre ici n’est pas un roman, bien que certaines scènes puissent paraître romanesques.

C’est un témoignage brut et sincère, parfois maladroit.

Je n’ai rien inventé, ce sont mes vérités et mes souvenirs.

Si l’extraordinaire affleure parfois, c’est probablement que le réel est bien plus vaste que ce que l’on croit.

Rien ne me prédestinait à l’écriture, rien, sauf ce pressentiment tenace que ma vie, un jour, pourrait éclairer le chemin d’un autre.

Si vous souhaitez échanger, partager vos propres expériences ou simplement poser une question, écrivez-moi : info@double-chance.fr

Il me reste soixante années à raconter, j’ignore si j’aurai le courage d’aller jusqu’au bout, mais je ferai au plus court, en retenant l’essentiel, les tournants, les éclats, les révélations de ce long chemin, du champ de melons jusqu’à aujourd’hui.

Merci à celles et ceux qui me suivent.

Si mes mots peuvent vous divertir, vous donner un peu de force ou de courage, alors j’aurai réussi l’essentiel.

Notre liberté est de chercher le chemin.

Dieu est à la fin de l’homme, pas à son commencement.

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Post 9 du 13 juillet 2025

Mai 68. J'ai 18 ans depuis cinq mois, le permis de conduire depuis quatre, et ma première Jaguar depuis trois.

Nous partageons, elle et moi, un bonheur d'autant plus rare que nous sommes nés la même année.

Entre le mont Ventoux et le Luberon, pas de pavé, pas de barricade. Si un vent de liberté arrive jusqu'à nous, jeunesse provinciale, il n'est pas vraiment en nous.

Le soir venu, chez Françoise à Gordes, nous sommes réunis autour des tables, écoutant les récits d'étudiants matraqués contraints à la fuite.

Je partage cette contestation lointaine d'autant plus allègrement que notre député me fait profiter de bons m'autorisant un accès au carburant.

Caracoler gaiement sur des routes désertes par ce magnifique printemps ne me permet pas réellement de revendiquer le statut de révolutionnaire.

Les Quatre Garçons dans le vent sont déjà vieux, c'est avec Mick Jagger que nous renversons des filles en mini-jupe et déjà pas trop farouches.

Soyez réalistes, demandez l'impossible, l'imagination est au pouvoir, faites l'amour, pas la guerre, il est interdit d'interdire.

En Provence, pour ma bande, ces slogans ne changent pas grand-chose, il me faudra du temps pour mesurer l'importance de ce mouvement.

Certains d'entre nous poursuivent des études pleines de promesses, d'autres avec moi, déjà dans le monde des actifs, ne manquent pas d'opportunités, et pourtant, comme des milliers de jeunes, depuis nos quinze ans, avec Jean-François, René, Bernard et bien d'autres, nous passons des nuits entières à partager musiques, poésies et lectures.

Plus tard, j'ai compris l'influence de ce printemps 68, une force qui marquera notre génération, même si aujourd'hui, certaines choses semblent revenir en arrière.

Un philosophe a dit que chaque père a toujours prôné que c'était mieux avant, et pour la première fois dans l'histoire, c'est vrai. Les mini-jupes sont de plus en plus longues et la joie de moins en moins présente.

Écrire a réveillé le vent de l'histoire et de la liberté, il souffle des forces dont le goût du merveilleux donne un sens à toute vie.

« S'il y avait au monde quelqu'un qui me rendît libre, au fer je me marquerais le visage, et je me ferais son esclave. » m’a appris mon fils (j’ignore le nom de l’auteur).

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Post 10 du 14 juillet 2025

Cinq ans entre la remorque des champs de melons et une première Jaguar. À l’échelle du petit bonhomme, c’est un saut quantique que je suis heureux de vous faire partager.

Pas d’école, pas d’université, pas d’église.

Seulement une volonté d’avancer, qui n’a jamais failli.

Un mode de fonctionnement que j’ai assimilé bien plus tard à une forme de vampirisme.

Professionnellement, les faits sont trompeurs. Ce qui compte, ce n’est pas ce que l’on fait, mais comment on le fait.

Ne sachant m’exprimer que par le regard, je compensais par une écoute attentive. Vingt ans plus tard, en lisant Carnegie, j’ai compris que cette écoute silencieuse, avec les yeux, donne à votre interlocuteur l’irrésistible envie d’enseigner.

C’est fou, ce besoin qu’ont les hommes de paraître intéressants.

Si, un jour, je suis devenu comme eux, en ces temps-là, je me contentais de prendre ce qu’il y avait à apprendre. Et sans l’ombre d’un merci, ignorant la reconnaissance, je me détournais de mon interlocuteur, aussitôt et définitivement.

C’est peut-être moche, mais quel temps gagné sans l’encombrement des sentiments.

Pour l’individu que j’étais, la morale était une faiblesse.

Les mots « compassion » et « amour » étaient alors totalement inconnus.

Un loup ne se préoccupe pas de ce qui ne le nourrit pas.

Si ma mère m’avait enseigné les bonnes manières avec la rigueur de Nadine de Rothschild, nous n’avions guère d’occasions de les mettre en pratique.

Le pouvoir s’apprend.

J’en veux pour preuve une première réservation à l’hôtel Pierre. J’en avais la possibilité lors de mon second voyage aux States, pourtant je suis resté sur Central Park à regarder défiler les limousines sur la zone de réception de l'hôtel.

Ridicule, direz-vous, et vous avez raison.

J’ai appris bien plus tard, par un voiturier du Crillon, qu’en ces lieux, ce n’est ni le véhicule, ni l’habit, ni la fortune qui vous distingue.

Partout dans le monde, la formule échangée entre le personnel des palaces, c’est « Ritzy or not Ritzy. »

Ce qui signifie, m’expliqua cet homme avisé, « le client est ici chez lui de toute éternité, ou pas. »

J’avais dû l'écouter avec des yeux candides, pour qu'il ajoute sérieusement avec un petit sourire complice… « Si je vous ai donné cette clé, monsieur, c’est parce que vous êtes ici chez vous. »

Bref, je dois faire court, et pourtant, ces cinq années furent longues.

En 1964, me voilà élevé au statut d’apprenti. J’apprends le métier d’électricien en bâtiment dans l’entreprise Fournon à Apt. Ce savoir m’est encore utile parfois.

Le samedi, le fils me libérait plus tôt pour que je passe voir le père au magasin où je recevais une pièce de cinq francs. Le paquet de Gauloises coûtait alors un franc, heureusement, je fumais peu.

Je pense que c’est sur l'intervention de mon ami Jacques Gelin que son père m'a pris en pitié. Alors qu’il n’avait jamais employé personne, Jean m’a pris avec lui dans son petit atelier de la rue Pasteur, que nous avons ensuite déménagé à Rustrel.

Jean, ébéniste d’art, comptait parmi ses clients de nombreuses personnalités et artistes qui avaient découvert la Provence bien avant qu’elle ne devienne une destination touristique.

Sa personnalité, et ce que je lui dois, mériteraient un livre.

J’ai des dizaines d’anecdotes sur cette époque et sur sa mère, prénommée Esther. Elle avait été la gouvernante de Bernard Buffet. Le célèbre peintre et sa Jaguar (coïncidence) passaient parfois.

L’hiver, à la nuit tombée, poètes, artistes, écrivains venaient boire le thé. L’atelier se transformait alors en « café des arts », chacun allait de son discours, et moi, je buvais tout cela en silence.

Deux années marquées à jamais, grâce à la générosité de ces hommes qui prenaient en charge la culture d’un gamin mutique. J’en veux encore à l’égoïsme qui m’habitait alors.

Si aujourd’hui rendre hommage à Jean et à sa famille ne m’ouvre pas les portes du paradis, peut-être m’éloigne-t-il un peu de celles de l’enfer.

C’est à cette époque que, toujours par Jacques, j’ai rencontré à Rustrel Daniel Jean et son orchestre de potes.

Il y a quatre ou cinq ans, j’ai tenté de retrouver « les copains d’avant ». Jacques n’est plus au pays d’Apt, et tous les autres, à l’exception de Daniel, ont rejoint l’Orient éternel.

Daniel, le chef de bande, n’a pas changé.

Quel bonheur de retrouver cet homme, toujours empreint de la générosité et de l’intelligence d’avant.

Je digresse, je vous perds sûrement, il est temps de suspendre mon récit journalier.

Je reviendrai demain vous parler d’avant,

De l’origine du mal.

Ou du bien.

C’est selon…

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Post 11 du 15 juillet 2025

1966. Après l’atelier d’ébénisterie, j’ai définitivement quitté ce monde des travailleurs que j’aimais et qui m’avait tant donnés.

Le monde des cravates a alors bouleversé ma conception de l’existence. Le premier monde, celui des artisans, travaille, mesure, et suit des règles. Le second agit sans mesure, et ses règles sont imprévisibles.

Pierre Magnan a écrit « Comme tu mesures, il te sera mesuré. »

Sans en être conscient, j’ai tracé mon chemin un pied dans chaque monde.

À cette époque, mère peignait des poteries qu'elle proposait aux touristes par l'intermédiaire de commerçants qui lui venaient bénévolement en aide.

Elle seule, en décorant des assiettes en terre cuite offertes généreusement par la quincaillerie Viguier à Apt avec quelques pinceaux et de la peinture Valentine qui embaumait notre refuge d’huile et d’essence, pouvait nous enseigner que le ciel et l’univers nous appartiennent, avec ou sans cravate.

À condition de le vouloir vraiment, et de ne jamais renoncer.

Revenons à ce dimanche matin du printemps 1966.

Influencé par les peintres qui fréquentaient l’atelier de Jean, je m’imaginais un avenir en couleurs. Ce matin-là, dans le jardin, j’avais l’illusion de marcher dans les pas de Van Gogh. Sans talent, j’ai heureusement compris très vite que cette illusion devait rester un rêve… et mes toiles sont parties en fumée.

C’est alors qu’un homme, vêtu comme un croque-mort, s’est approché. Il m’a tendu une revue dont le nom, me semble-t-il, était « Réveillez-vous ! ».

S'ensuivit un débat improbable entre ce témoin de Jéhovah, cultivé et sûr de lui, et le petit coq que j'étais rempli des certitudes acquises par les lectures de l'abbé Teilhard de Chardin et de Nietzsche.

J’ignorais tout de ces témoins, jusqu’au nom même de Jéhovah. Cependant, cet homme qui portait beau m’a offert ce jour-là quelque chose de précieux : une forme de bienveillance mêlée à un je-ne-sais-quoi de reconnaissance et de respect.

Cette considération inexpliquée marquera ma différence tout au long de ma vie.

Je l’ai maudite souvent, avant de m’habituer à ce défaut d’appartenance. Lorsque, étranger dans un monde étrange, je me sentais à l’écart des simples babillages, j’aurais tant aimé savoir participer.

Une forme d’autisme sans doute.

Je m’égare encore…

Revenons au croque-mort affable et à l’histoire.

Détournant mon attention de Dieu auquel je restais insensible, il me proposa, sans laisser paraître le trait d'humour, un petit travail de peintre en m’expliquant que la grille de son bureau avait besoin d’un bon brossage et d’une couche de peinture.

L’habileté de l’homme m’a emporté, et dès le lendemain matin, j’étais au travail, quai du Midi, à quelques centaines de mètres de chez nous.

De peintre improvisé, je suis devenu son secrétaire, son unique salarié, son homme à tout faire.

Je dois énormément à François Barone et à notre agence « Information France Bureau », spécialisée en tout, ou presque : agence matrimoniale, renseignements, filatures, et même éditrice d’un manuel intitulé « Comment devenir détective privé », que nous vendions par petites annonces dans la presse populaire.

Je dis « nous », car j’étais devenu une sorte de fils pour cet homme, à qui je dois mon insertion dans le monde des cravates.

Notre agence a même trouvé un mari à maman… Mais ce ne fut pas notre plus belle réussite.

Il se disait que cet homme était arrivé à Apt parce que la ville était « ouverte aux interdits de séjour » autrement dit, un refuge pour ceux que la justice avait invités à quitter Marseille. Le mobilier de sa maison et l’absence de voiture ne correspondaient pas à la coupe de ses costumes…

Plus tard, je vous parlerai de Claude, celui qui m’a appris l’immobilier et ses arcanes. Ancien acolyte de « Mémé Guérini », il était à Apt pour cette même raison.

Revenons à Monsieur Barone qui, pour se refaire une santé financière, a vendu à une société lyonnaise l’idée de créer un réseau national d’agences de renseignements commerciaux.

Ce nouveau job lui a permis de créer une première agence locale à Apt, en vendant notre cabinet à un assureur.

Je faisais partie de la transaction.

Là, j’ai trouvé ma place aux côtés de Jean Guy. Jean étant le prénom d’un homme admirable, qui m’a fait monter d’un cran dans la hiérarchie avec la création d’une nouvelle agence à Nice, rue Lamartine, près du boulevard Dubouchage.

Mais c’est une autre histoire.

Une nouvelle porte sur le monde en direction d'aventures

et de réussites que j’étais bien loin d’imaginer…

« Il arrive à un homme, non pas ce qu'il mérite, mais ce qui lui ressemble. »

Nous voici revenus en 1968.

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Post 12 non publié

Depuis que le commerce existe, la plus grande peur d’un vendeur est de ne pas être payé.

À mon époque, il existait des officines spécialisées qui fournissaient des informations permettant au vendeur d’évaluer, tant bien que mal, le crédit qu’il pouvait accorder à son client.

Deux agences de renseignements dominaient alors le marché en France : Piguet à Lyon, qui m’a employé, et l’Américaine Dun & Bradstreet.

Imaginez un monde sans internet, avec des téléphones en bakélite noire, sans cadran. En province, les cadrans rotatifs n’arriveront que plus tard. 

Cela pour dire que le téléphone, pour ceux qui en disposaient, n’était ni d’usage courant ni d’accès aisé.

Ces agences adressaient des questionnaires aux secrétaires de mairie, aux huissiers, aux banques, ou faisaient appel à des enquêteurs locaux pour vérifier de visu l’existence, la réputation, et parfois l’honorabilité des commerçants ou entrepreneurs.

C’est dans le but de former ces enquêteurs que François Barone vendait son fameux cours « Comment devenir détective privé. »

Ces procédures étaient longues, fastidieuses, souvent approximatives.

Un petit commerce, rémunéré en billets modestes.

L’idée de téléphoner, si je ne l’ai pas inventée, elle m’a été soufflée, j’ai oublié.

Ce qui est certain, c’est qu’elle était alors inimaginable.

Je vous entends sourire, mais il faut avoir vécu cette époque pour comprendre que le téléphone était encore un outil de privilégiés, traité avec la considération due à un notable.

Obtenir des informations grâce à cet appareil relevait de la science-fiction, et sa mise en œuvre n’a pas été simple.

J’ai dû travailler ma voix, élaborer une méthode, apprendre à gagner la confiance de mes interlocuteurs, dont les plus importants étant bien sûr les employés de banque.

Méfiants par nature, ils étaient aussi déstabilisés par mes appels que par l’objet lui-même.

Mais à force d’échanges, d’écoute, et d’une forme de présence verbale, je suis devenu un personnage de confiance.

Je peux, pour une fois, me vanter et écrire que l’ado a été plutôt bon sur ce coup-là.

Devenu salarié de la société Piguet, j’ai mérité un traitement spécial et les avantages liés à une mission nouvelle qui consistait à former dans chaque agence des enquêteurs téléphoniques.

Trois années de rêve dans les agences de Marseille, Strasbourg, Nancy, Nantes… pour les principales.

Un salaire de 1 300 francs, hôtel et restaurant payés.

1 300 francs d’argent de poche que je cramais allègrement, à une époque où le SMIG était de 550 francs.

À presque vingt ans, c’était les voitures et la fête.

Je me souviens d’un chef d’agence dont le nom, sans certitude, était Bartet. De Nancy à Nantes, cet homme admirable a pris soin du jeune fou totalement incontrôlable. Merci à lui, et à sa famille.

Il faudrait un livre entier pour raconter cette époque, faite de poker, de routes, d’aventures en tous genres.

Des années décisives dans le passage de l'ado à l’adulte, dans la construction chaotique de ma personnalité.

Si j’en suis sorti libre, et vivant, c’est que j’ai bénéficié d’une protection inouïe.

La main de Dieu ou celle du diable ? Je ne saurai dire.

Même si tout cela est prescrit depuis longtemps, je ne livrerai peut-être que quelques anecdotes… Le reste doit sombrer dans l’oubli.

Rien de vraiment grave, rassurez-vous, juste des expériences à la frontière. 

Des relations dangereuses, des fréquentations douteuses, mais aussi et surtout une éducation, un fond moral qui m’ont protégé du pire.

L’exemple n’est pas à suivre, sauf si l’on sait danser sur le fil.

S’il faut du temps pour faire un homme, 

j’ai, là, pris de l’avance.

Reste cette question que chacun peut se poser :

Qu’est-ce qui compte le plus ?

Le voyage ou la destination ?

« Alors que tout plaisir et toute douleur, ainsi que toute illusion, n’existe nulle part ailleurs que dans notre esprit, il nous appartient de créer notre destinée et de vivre nos choix. »

 

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Post 13 non publié

En ce début 1970, j’ai 21 ans et la société souhaite me sédentariser au siège.  Ma mission est terminée, et les quelques idées que j’ai proposées ont fait leur chemin.   Ma place serait donc à Lyon, pour une carrière toute tracée.

Sédentaire ? Pourquoi pas la retraite pendant qu’on y est ? Ce n'est pas du tout dans mes projets, d'autant que, pour être honnête, je n'en ai aucun.

Je rentre chez maman, à Roussillon. 

Je ne sais plus si c’est l’affaire de quelques jours ou d’une semaine, mais très vite, je fais le choix d’un nouveau métier. Oui, vous avez bien lu : je choisis. En France, à cette époque, les offres d’emploi sont bien plus nombreuses que les travailleurs. Traverser le trottoir n’a rien d’une ânerie.

Un matin, je me présente à l’Agence Immobilière de Saint-Saturnin.  Elles sont rares dans les villages. J’en ressors le soir même, formé et embauché.

Le métier, m’explique Claude, c’est simple :

- Tu te balades, tu t’intéresses aux bâtiments abandonnés, fermes, maisons, cabanons… Tu sauras très vite si tes choix sont les bons en les faisant visiter le week-end.

- Ensuite, tu vas consulter le cadastre en mairie. C’est en accès libre. Demande un coup de main au secrétaire la première fois, mais rien de compliqué si tu t’es bien repéré.

- En plus de l’adresse du propriétaire, essaie d’en apprendre un peu plus sur lui.

- Tous les paysans te recevront à bras ouverts. Ils sont contents de se débarrasser de bâtiments dont ils enlèvent les tuiles pour ne pas payer d’impôts.

- Tu fais signer une promesse de vente simplifiée. Ne t'inquiète de rien, elle n'engage que le vendeur. Pour le prix, propose toujours « autour d’un bon million ». Tu comprendras vite que c’est, pour eux, un prix inespéré.

- Avec les paysans, tu parles en anciens francs, mais tu écris en nouveaux.

- Si c’est gros ou vraiment beau, tu m’organises un rendez-vous. 

Voilà, tu sais tout ce que tu dois savoir pour commencer demain.

Ta rémunération ? 

50 % de la plus-value réalisée à la vente.

Le minimum que j’accepte, c’est cinq mille francs. Si tu es bon dans tes recherches et tes ventes, des cabanons à quinze mille francs, tu en vendras autant que tu voudras.

Mon statut venait à nouveau de changer dans le monde des cravates, je devenais libre et maître de mes revenus.

Sans prétention, je peux dire que j’étais, par ma personnalité particulière, surdimensionné pour l’emploi. Rapidement, j’ai fait plus de commissions que les deux autres vendeurs réunis.

Au début des années 70, gagner 1 000 francs par mois, c’était exceptionnel. Une vente rapportait 2 500 francs, et en faire deux par mois, ce n'était pas trop difficile 

Jusqu’ici, ma relation à l’argent avait été floue, incertaine. Ce nouveau métier en a bouleversé les règles. Sa nécessité est devenue aléatoire puisque pour en avoir, il suffisait de demander.

Bien avant que Pierre Morency ne l’écrive dans les années 2000, j’étais convaincu que :

- Comment voulez-vous avoir de l’argent devant vous si vous le mettez de côté ?

- Plus l’eau sort d’un tuyau, plus elle en aspire à l’embouchure. Il en est de même pour l’argent, plus il en sort, plus il en entre.

On obtient toujours ce que l’on induit.

 

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Post 14 non publié

Deux petites années dans l’immobilier pour une chute brutale.

Trop jeune, trop impétueux, et assez bête pour ignorer la fragilité du moment, j’ai commis l’erreur du « toujours plus ».

Aucune autre agence ne pratiquait les méthodes de Claude, et dans l’immobilier traditionnel, les perspectives à long terme m'ennuyaient.

J'avais besoin d'aventure, pas de stabilité.

La suite vous montrera que j’allais être servi.

Après quelques semaines nourries de regrets, je me suis présenté à La Flèche Cavaillonnaise, une importante entreprise de transports à la recherche d’un commercial.

Le responsable du personnel, Monsieur Vicenz, si ma mémoire est bonne, un homme mesuré et courtois, m’a regardé avec une bienveillance distante. « Vous ne correspondez pas au profil souhaité, m’a-t-il dit. Le monde du transport a ses particularités. »

Puis, devant mon étonnement, « J’ai un poste de responsable juridique.  Ce n’est pas ce que vous cherchez, mais je peux vous le proposer.  Vous comprendrez. »

Effectivement, j’allais comprendre.

Un travail qui n’avait de juridique que le nom : contrôle des carnets de route, gestion des procès-verbaux…  Un monde administratif, un salaire modeste, mais d'une richesse humaine inestimable.

Je ne regretterai jamais les mois passés dans cette entreprise.

Les autoroutes en étaient à leurs balbutiements.  Les chauffeurs affrontaient les cols et les nationales.  Ces hommes rudes m'ont d'abord regardé comme un ovni, il faut dire que j'étais bien éloigné de leur monde.

Peu à peu, ils m'ont adopté.

Le président, Maurice Bouchet, un homme extraordinaire, a lui aussi mis du temps à m’accepter. Un colosse issu du terrain, sans autre bagage que son expérience, régnait sur ses chauffeurs avec poigne, et sur la profession avec un charisme qui lui ouvrait les portes des ministères. S’il débutait une phrase par « je suis tétée… », personne n’aurait osé sourire.

Direct, autoritaire et juste, Monsieur Bouchet m'inspirera plus tard lorsque, devenu promoteur, je devrai me faire respecter.

J’avais à La Flèche un collègue, un ami, prénommé Jean.  Promis à de hautes fonctions, il partageait avec moi cette initiation rude et formatrice.  Il m'a chaperonné dans ce milieu d’hommes qui tenaient plus du cow-boy que du chauffeur.

Maurice Bouchet a un jour décidé que je ne saurais comprendre ce métier sans passer par l’expérience de la route.  J’ai donc obtenu tous les permis et accompagné les chauffeurs sur de longues distances.  De longues nuits, des relais réservés aux routiers, des steaks à 2 heures du matin, des chargements difficiles, des arrivées à l'aube à Paris, au nouveau Rungis.

Ces moments-là comptent vraiment, en parler était important.

Le jeune con, imbu de lui-même, est alors devenu un peu moins con.   Il sait depuis faire la différence entre un crâne d'œuf et un homme courageux.

« Les seuls moments importants d'une vie sont ceux dont on se souvient. »

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Post 15 non publié

Influencé, sans aucun doute, par la mentalité des hommes qui désormais m'entourent, je décide qu'il est temps de fonder un foyer. "Travail-Famille-Patrie"

Depuis les frasques des années 68 et jusqu'à ce jour, je n'ai de l'ange qu'une auréole factice. 

Comme à mon habitude je demande, au ciel, à l'univers, à ma chance, à je ne sais qui, à rencontrer celle qui deviendra la mère de mes enfants.

Le 18 octobre 1972, à Roussillon, la chance me donne d'épouser une femme qui en plus de me donner une fille et un fils, me soutiendra pendant trente années ans dans les entreprises que je vais tenter de raconter.

Evidemment, lassé d'un travail devenu routinier, nous passons les premiers mois de notre vie de couple à Roussillon, chez mon ami d'enfance, Yves Ramade, qui avait repris le café de son père.

Le soir venu, nous retrouvions chez Yves des habitués du village et aussi quelques figures venues d’ailleurs, dont certaines célébrités dont je me dois de taire les noms.

Avec une poignée de ceux-ci, souvent renouvelée, autour d'une table dédiée, nous retrouvons les cartes jusqu'à tard dans la nuit.

Pour la grande majorité des joueurs les pertes étaient sans importance, pour moi il en était tout autre, Françoise et moi vivions de ces pokers alimentaires.

Sans péril, j'assure le quotidien.

Depuis l'atelier de Jean et le bistrot d'en face, depuis 1965, le poker m'accompagne. 

Pendant mon tour de France, à Nancy, 'à Nantes, partout ailleurs, j'ai joué. 

Contrairement à ce que ces lignes pourraient laisser croire, je ne suis pas joueur dans l’âme. Je n’ai jamais eu le jeu dans la peau. J’ai toujours joué pour améliorer l’ordinaire.

Je ne me suis laissé prendre qu’une seule fois, à Marseille, dans un club de la célèbre et interlope rue du Chevalier Roze. Une leçon sévère, administrée par plus rusé que moi. Une forme d’arnaque que je ne connaissais pas encore.

Un matin à l'heure du café, Edouard, beau papa, lisant les Echos, nous dit que le machinisme agricole est en plein essor. J'entend par là qu'il est sans doute un peu inquiet et qu'il serait heureux de voir son gendre se mettre au travail.

Un matin, à l’heure du café, Édouard, mon beau-père, en feuilletant "Les Échos", annonce que le machinisme agricole est en plein essor. J’y entends sans peine une légère inquiétude et un appel discret à ce que son gendre se mette enfin au travail.

Ni une, ni deux, je me renseigne, et dès le lendemain me voilà dans le bureau d’Henri Porte, dirigeant de la société du même nom à Avignon.

Cherchant un vendeur pour le petit matériel, il avait publié une annonce dans la presse locale. 

Très vite, il me dit que je serais mieux employé dans le gros matériel, et qu’un poste est disponible sur le secteur de Vaison-la-Romaine.

 Je lui confesse que je n’ai aucune origine agricole, que je ne connais rien à ce monde et que je n’ai même jamais eu la curiosité de m’intéresser à un tracteur.

Sa réponse est inoubliable « Pas d’inquiétude, c’est simple, les petites roues sont devant, les grosses derrière. Je vous crois assez malin pour vous débrouiller. »

Il m’indique que je trouverai dès le lendemain toute la documentation nécessaire dans la salle de réunion, et que j’accompagnerai, pour débuter, son meilleur vendeur, Paul Reiller, me semble t'il.

En ce temps-là, les choses étaient simples : pas de CV, pas de RH, pas de chichis. « Au boulot, mon gars » était un viatique qui portait loin.

Je suis entré dans le monde agricole comme on entre dans l’arène, tête baissée, à l’image d’un taureau fonçant sur le toréador.

Avec le petit bagage acquis dans l’immobilier, et la force puisée auprès des routiers que je venais de quitter, je n’ai pas douté. Terminant tard le soir, aux horaires des agriculteurs et des vignerons, j'ai travaillé sans ménagement, jusqu'à devenir le meilleur.

Cette clientèle, à l’époque, était en pleine transition technologique, et les vendeurs n’allaient pas jusqu’à eux.

C’était il y a cinquante ans.

Je pourrais vous raconter des centaines d’anecdotes, si je n’avais pas peur de vous lasser.

Mais ce qui importe, c’est de vous faire sentir qu’avant, si c’était différent, tout était pareil. 

Que la concurrence de vendeurs vraiment volontaires reste inexistante. Que ceux dont les dents rayent le parquet sont rares, et que les sans-dents sont toujours nombreux.

Nous ne sommes limités que par nos propres ambitions.

Je vais vous le prouver.

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Post 16 publié le 23 juillet

La lumière.

Occupé par l'exercice de mémoire des faits, j'ai omis de parler de ce qui, en silence, m'a façonné.

De cette part de moi qui, depuis 1969, oriente mes choix autrement que ne le ferait la raison seule.

Il existe une énergie qui ne se voit pas, mais qui agit.

Une force intérieure, un fil tendu entre l’invisible et notre cheminement.

C'est la spiritualité.  Pas celle des dogmes, mais celle d’un dialogue secret avec l’univers. Un jardin caché où germent les décisions profondes.

C'est à Lille que tout a commencé.

Le soir venu, les bureaux désertés, j’occupais mes heures calmes à recopier sur une Olivetti électrique les pages d’un livre immense, “Le Matin des Magiciens.” Louis Pauwels et Jacques Bergier y font l'inventaire de tous les possibles.

Ce n'était pas un livre, c'était une révélation.

Ce texte a ouvert une brèche. Il m'a appris à sentir ce qui dépasse l'apparence, à écouter ce que le monde, le ciel, les hasards tentent de nous dire.

Il a déplacé mon regard. Il m'a poussé à chercher un sens derrière les événements, à reconnaître des signes dans ce qui, pour d'autres, n'est que circonstance.

Un peu plus tard, Nietzsche est entré dans mon existence pour ne plus me quitter.

Zarathoustra est devenu mon compagnon de route, annoté, corné, fidèle. Il m'a suivi de chambre en chambre, de ville en ville.

Il m’a quitté un jour pour nourrir une femme, puis il m’est revenu avec elle, comme un double écho du destin. Ils m'accompagneront pour l'éternité.

Depuis, je sais que ce qui guide un homme ne se trouve pas toujours dans ses actes, mais dans la lumière qu'il suit sans pouvoir l'expliquer.

« La lumière est là, elle n’est pas à chercher.

Elle est là, mais ailleurs.

La lumière ne se bat jamais contre les ombres, car elles n'existent pas pour elle.

Il n'y a que les ombres qui s'accrochent et se battent, et elles viennent de nous.

L'essentiel est l'ouverture du cœur, l'orientation de l'esprit vers cet océan intérieur qui donne une autre réalité à la vie. »

Aujourd'hui, je sais pourquoi certains choix m'ont paru évidents alors qu'ils semblaient insensés, pourquoi certaines rencontres m'ont sauvé, pourquoi certains échecs étaient nécessaires.

Ce n'est pas de la chance, c'est une forme de lecture intérieure du monde.

C'est elle qui, souvent, m'a évité de me perdre.

 

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Post 17 non publié

Le premier jour, au volant d’une Ford Escort break, vêtu du costume de mariage et de la cravate un peu trop serrée du représentant débutant, j’ai pris la route.

À propos du mariage, me revient une anecdote fondatrice. Sans elle, cette histoire n’existerait pas.

Notre projet de couple, hérité des illusions de 1968, simple et grand à la fois, était d’acheter une ferme, de devenir éleveurs de moutons, pour vivre en marge, au rythme des saisons.

Nous étions sincères. Tellement sincères qu’avec Édouard, mon beau-père, nous sommes allés visiter une exploitation sur les hauts plateaux, à la frontière de l’Ardèche et de la Haute-Loire.

Cent hectares, des ruines battues par le vent, un froid immense, tout comme ce bout du monde.

Et puis, il y a eu ce cadeau, ce voyage de noces offert par les parents de Jean-François, mon témoin.

Ils nous ont confié leur appartement à Orcières-Merlette, une station de ski élégante, sur les crêtes des Alpes du Sud.

Il m’est difficile aujourd’hui de dire avec précision ce qui s’est passé en moi, là-haut.

C’était un bouleversement silencieux, un choc venu de l’intérieur.

Nous étions plongés, pour quelques jours, dans un univers de confort, de beauté, de possibles.

Une autre vie, un autre monde. C’est là que quelque chose s’est retourné.

Le vent, en soufflant sur la neige et sur mes certitudes, a balayé les rêves d’élevage et les fumées de l’utopie.

Au fond de moi, dans un coin de silence, une mémoire s’est réveillée, celle de la Commanderie à Joucas.

Souvenez-vous… la magie du 1er janvier 1962.

Comme un rappel à l’ordre du destin, la famille Barrielle, une fois encore, m’a montré la direction.

Mais revenons à la cravate trop serrée, au premier matin d’un vendeur de machines agricoles qui ne connaissait rien à son nouveau métier.

Rien des terres, des machines, des moteurs, des techniques.

Mais j’avais ma volonté, ma faim d’apprendre, et cette conviction intime que je pouvais réussir si je me montrais digne, présent, tenace.

Il restait alors, dans quelques villages, de vrais maréchaux-ferrants.

Si parfois encore, ils ferrent un cheval, leur activité s’était recentrée sur la réparation et la vente de matériel.

Ils étaient les relais naturels des vendeurs. Ils aiguillaient, recommandaient, ouvraient les portes.

Généreusement, ils ont tendu la main à ce jeune venu se confronter aux besoins des agriculteurs. Je garde un immense respect pour ces hommes d’un autre temps.

L’un d’eux, à l’angle de la place de Caromb, dans une petite forge sombre, suie au mur, charrues sur le trottoir, m’indiqua un viticulteur habitant le village qui avait un projet.

Mon premier client.

Ce dernier n’était pas pressé de se séparer de son vieux Fordson. Alors il m’écoutait, me testait.

Pendant des semaines, je suis venu presque chaque jour. Il posait des questions et corrigeait mes réponses, prospectus en main. Il m’apprenait. « Combien de chevaux ? Combien de cylindres ? »

Peu à peu, une relation s’est nouée. C’était une famille unie, et j’en faisais partie. Repas partagés, bouteilles vidées, récits échangés, inquiétudes confiées.

Une fois la vente conclue, à ma grande surprise, ils sont venus un dimanche à Oppède voir  « le gars qui ne venait plus. »

C’est avec cette soif-là, cette fidélité, ce respect du temps des autres, que j’ai parcouru les fermes du Vaucluse et de la Drôme, du matin jusqu’à la nuit. De Malaucène à Carpentras, d’Orange à Buis-les-Baronnies, j’étais partout, infatigable.

Et puis, en marge de ce travail officiel, j’ai bâti un petit commerce avec l’accord tacite de la direction. J’avançais, pas à pas, rachetant les reprises de vieilles machines qui encombraient la concession, parfois à moitié avec les forgerons.

À Mormoiron, au pied du mont Ventoux, j’ai même échangé un appareil contre une maison du village.

L’immobilier ne quitte plus celui qui connaît son goût… Si bien qu’avec dix mille francs prêtés par Célesta, ma belle-mère, j’ai acquis l’immeuble mitoyen.

Bref, âgé alors de 25 ans, si la richesse était encore lointaine, nous ne manquions de rien. Marianne, ma fille adorée était née le 22 juillet 1973, j’abritais ma famille dans une belle villa de Vaison-la-Romaine, mes voitures étaient neuves.

Fin 1975, lors d’un concours entre vendeurs organisé par Massey-Ferguson France, j’ai remporté l’un des premiers prix : tous les équipements de ski pour une famille qui n’en avait jamais vu, et ignorait tout de la neige !

Fier, n’en doutez pas, nous sommes partis, skis sur le toit, pour un mois entier.

Devinez où ?

À Orcières-Merlette, évidemment. 

Le lieu où tout avait basculé. La boucle était bouclée.

Et puis vint l’inattendu. par Monsieur Pinchon, le représentant de la Compagnie, un homme droit et généreux, qui m’avait pris sous son aile. Son concessionnaire de Mâcon cherchait un chef des ventes, il me proposa naturellement à ce poste.

Une nouvelle aventure, un autre cap.

Un pas de plus vers le sommet.

Pour un siège à la droite de Dieu.

Une voie a alors murmuré « tout plaisir et toute douleur, ainsi que toute illusion, n’existe nul part ailleurs que dans ton esprit. A toi de créer ton destin, avance sans te retourner. »

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Post 18 Parenthèse personnelle et non publiée.

Avant de quitter la Provence, avant de débuter une autre vie, j'imagine une gerbe pour les amitiés perdues. 

Écrire une parenthèse de regrets qui s'ajoute à celle du souvenir, du fil ténu mais tenace des amitiés de jeunesse, de ces présences qui nous forment puis s'effilochent sans bruit et disparaissent.

Au passage à l’âge des responsabilités, au temps des premiers engagements professionnels, chacun change. L'enthousiasme de la jeunesse cède la place aux obligations, aux choix de vie.

C'est plus tard, avec les souvenirs des moments partagés, que vient le temps des regrets.

Aux vagues de cette mer que j'ai tant aimée, je veux aujourd'hui lancer cette gerbe.

Un hommage, une offrande pour honorer ces amitiés disparues.

Chaque fleur est dédiée aux morts, bien sûr, mais aussi, et peut-être surtout, aux vivants, aux familles, aux enfants, à ceux dont les visages me reviennent dans la lumière chancelante de la mémoire.

« Le vrai tombeau des morts, c'est le cœur des vivants. » a écrit Jean Cocteau.

Alors permettez-moi, pendant qu’il en est encore temps, de les faire vivre un instant.

La mer ne les emportera pas. Ils sont toujours là, portés par la crête des vagues.

Je vous partage les amitiés dont je me souviens, pardonnez-moi d’en avoir oublié d’autres tout aussi importantes.

Avec la mémoire, elles reviendront peut-être un jour !

Évidemment, Jean-François Barrielle est le premier.   Je lui dois beaucoup de ce que je suis devenu.   Nous nous sommes perdus de vue en 1975. Il était à Paris, j’étais à Vaison.   Il est venu dîner un soir… et nous ne nous sommes jamais revus.   Il était toujours aussi brillant, et moi déjà trop préoccupé par l’argent, l’ascension. Je regrette profondément de ne pas être revenu vers lui lorsque j'ai compris la pauvreté de mes raisonnements d'autrefois.

Je suis triste aussi quand je pense à Bernard Heyries. Il était sensible aux vraies valeurs. C’est encore plus tôt que nous nous sommes éloignés.   Mes frasques lui étaient insupportables.   Pourtant c’est chez lui, à Villars, que nous avons repeint le monde avec les crayons de nos philosophes préférés. Près d'un feu de bois, un verre de cognac à la main, j'étais heureux et je regrette son amitié.

René Visotti a longtemps été notre frère.   Avec Jean-François, nous formions un trio de garçons différents mais unis par une belle amitié d’adolescence.   René, c’était la vie, l’humour. Une délicatesse mêlée de légèreté. Ses aventures mériteraient mieux que les miennes un livre, que dis-je, un roman.   Nous avions aussi un ami commun, un Parisien venu travailler à Apt, un garçon excellent dont le nom m'échappe douloureusement.

Yves Ramade, devenu en 1972 mon ami de Roussillon. Nous nous étions connus au collège, dans des circonstances qui n'avaient rien d'amicales. Dans son bar, j’ai vécu de vrais moments de vie.   Une maladie terrible l'a emporté, mais je garde pour lui, et pour son épouse, une place particulière dans mes souvenirs.

J’ai déjà parlé et je reparlerai encore de Daniel Jean et de Jacques Gelin. L’époque de Rustrel, de l’orchestre, des bals populaires.   Deux hommes de valeur, derniers amis de cette époque dont j’ai encore des nouvelles.   Si je croise parfois Daniel, je n’ai jamais revu Jacques pour qui mon amitié n’a pas faibli.

Loulou Branger… Je croyais qu’il était parti en Afrique du Sud travailler dans une mine de diamants. Une légende, me dit Daniel, il est encore parmi nous. La vie partagée avec lui, à Marseille, a quelque chose de phénoménal. J'ai même vécu un temps dans sa famille de pêcheurs, des gens bien, différents de Loulou, le docker, au grand cœur dissimulé derrière une rudesse impressionnante.

Ces noms, aujourd'hui, sont des boussoles dans une mer éparse.

Des voix anciennes qui résonnent encore sous la surface. Tant que nous les évoquons, tant que nous les nommons, elles vivent.

Beaucoup d'autres amitiés viendront plus tard, à l'âge adulte, j'en parle dans la suite du récit.

Il y a trois sortes d'hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer. Aristode 

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Post 19 non publié

Printemps 1976, assis dans une Mercedes, en route pour un déjeuner qui allait sceller une nouvelle page de ma destinée, ému et heureux, j'étais à Mâcon, en Bourgogne.

Au volant, le directeur de la concession, un petit homme dévoré d'orgueil, qui survivait dans sa petite entreprise en terrorisant son petit monde.

Ce jugement, dur et sans pitié, est celui de l'homme que je suis devenu, celui qui, plus tard, connaîtra des PDG employant des milliers de personnes, partagera des dîners avec des fortunes établies comme avec des nouveaux riches du monde des affaires ou du show-business.

Mais en ce printemps-là, mon regard était bien différent, j'étais impressionné, fier de passer dans le camp de ceux qui dirigent.

Il me faudrait encore quelques années pour rejoindre celui de ceux qui décident. Patience… Il faut laisser le temps au temps.

C'est dans l'été que je reviendrai à Mâcon pour trouver une villa, disponible dès septembre.

De la sécheresse de 1976, nous sommes peu à nous souvenir combien elle fut plus terrible encore que celles d’aujourd’hui. Elle avait même généré un impôt exceptionnel…

Il faisait si chaud que nous ne pouvions visiter les maisons que le matin, les après-midis c'est dans la piscine du motel, un Schweppes bourré de glaçons à la main, que vivre était possible.

À l’automne commenceraient des années de travail dont aucun mot ne saurait rendre justice. Dire « folie » serait en dessous de la réalité.

Une anecdote pour vous donner le ton de ce départ.

Sitôt en place, j'apprends un gros détail que personne ne m'avait précisé en m'invitant à abandonner emploi et maison dans le Vaucluse : nous sommes deux chefs des ventes à l'essai et seul le meilleur sera embauché.

« Dégueulasse », a dit l'autre.

J'ai dit « motivant ».

Ce combat mérite une citation de Corneille « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »

Le 31 mars 1977 est né Éric. Ma chance pouvait-elle m'offrir un cadeau plus précieux ?

Me reviennent des mots de Victor Hugo que j'arrange à ma façon : lorsque l'enfant paraît, dans cette pureté sans trouble et sans orgueil, se révèle on ne sait quelle auguste présence.

En 1978, nous avons acquis et rénové une grande bâtisse à Trambly, tout près de Cluny et de son abbaye. Marianne s'amuse d'une poule et nourrit un lapin.

À l’aéroclub de Charnay-lès-Mâcon, j’ai commencé à piloter sur un Robin 400. Je me souviens de l'instructeur et des libertés que je m'accordais, à son grand désespoir.

Ma BMW série 7 sillonnait jour et nuit la Bourgogne, à grande vitesse, entre les points de vente et les clients parfois éloignés de plus de 100 kilomètres. Les radars étaient rares, et les détecteurs efficaces.

Vendre des machines agricoles en Bourgogne nécessitait à cette époque une santé à toute épreuve. S'il existe un Dieu qui protège les alcooliques, je le remercie pour sa fantastique protection !

J’aurais mille histoires à raconter, des drôles et d’autres moins. Je pourrais vous parler des vendeurs que j'ai sincèrement aimés, de leurs efforts, de leurs résultats qui me remplissaient de fierté.

Mais à quoi bon vous fatiguer de détails ? Seuls les résultats comptent.

Bien qu'un moment qui a compté mérite d'être raconté :

À peine les quelques semaines qui ont fait la différence, fraîchement encore adopté, j'ai eu le plaisir d'accompagner le patron à un congrès de la marque.

À notre arrivée, j'ai été frappé par un spectacle impressionnant. La plupart des participants arrivaient au volant de prestigieuses automobiles et d'autres à bord de leurs avions privés.

Durant deux jours, j'ai été présenté à ces hommes dont la richesse était aussi manifeste qu'ostentatoire.

Sur le chemin du retour, le boss m'a demandé ce que je pensais de cette réunion et des personnes que j'avais rencontrées.

Avec une franchise teintée de naïveté, j'ai exprimé mon étonnement. « Pour la plupart, ce sont des crétins, à la fois bêtes et méchants. »

Mon jeune âge et la stature du patron, un homme à la fois adroit et fin, m'ont permis de formuler ce jugement sans filtre.

Sa réponse m'a profondément marqué. « La réussite et la richesse ne sont pas toujours le reflet de la culture.  En réalité, elles sont souvent inversement proportionnelles.  Ce qui compte, c'est la force de la volonté, une volonté qui ne connaît pas la faiblesse. »

Ces mots résonnent encore en moi aujourd'hui, me rappelant que la véritable valeur d'une personne ne se mesure pas seulement à son statut ou à sa fortune, mais à la détermination et à la résilience qui l'animent.

C'est en 1981 qu'un nouveau bond en avant changera radicalement mon existence.

À la manière de Gabin, je peux dire « Je sais. »

Je sais qu’il n’est pas de peine quand la chance nous accompagne,

Je sais qu’il ne suffit pas d’avoir du talent, mais qu’il faut travailler, travailler encore et encore,

Et ne jamais renoncer, parce que rien n'est impossible à celui qui s'y emploie corps et âme.

 

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Post 2 de Sylvie du 27 juillet 2025

Demandez et vous deviendrez.

« Tu me manques.»  Le message était resté sans réponse.
Je repose le téléphone sur la table.  Il ne vibrerait plus.  Peut-être ne vibrerait-il plus jamais.
Ce silence n’avait rien de paisible.  Il serrait la poitrine, nouait le ventre, battait contre les tempes comme un avertissement muet.
J'attendais un mot, un geste, une preuve que tout n'était pas fini.
La nuit, même le sommeil me fuyait.  Le jour, j'errais suspendue dans le vide, incapable d'avancer.

Il ne répondait plus.  Pas une explication.  Rien.

Je relisais nos messages, cherchais entre les lignes une phrase peut-être qui aurait tout contenu.  Ou tout trahi. Mais rien.
J’ai posé mon visage contre son oreiller, son parfum était encore là.  À peine.  J’ai fermé les yeux.  Je voulais ne rien effacer de ce qui me restait de lui.

Pourquoi m'avoir permis d'y croire, pour ensuite me le prendre ?
Il disparaissait.  Et moi, j’étais là, figée dans l’attente.  Alors j’ai cherché ailleurs.  En moi.
J’ai hurlé contre l’absence, supplié que les choses reviennent comme avant.  Mais l’avant n’avait pas tenu.  Il fallait un après.  Tout en moi était en train de bouger.

« Demandez, et vous recevrez », disent les Écritures et les marchands de promesses.

Pourtant, je l’avais demandé, cet amour.  Pas à la légère.  Avec ferveur.  Comme une prière silencieuse tendue vers l’invisible.  Je l’avais reconnu.  Immédiatement.  Comme une voix dans la foule ou un parfum d'enfance.

J’ai cru que cela suffirait.  Que désirer avec sincérité était une preuve de maturité.  Mais sous l'élan, il y avait encore les ombres : la peur de manquer, le besoin d'être rassurée, l'angoisse d'être quittée avant même d'être rejointe.
Alors non, la vie ne m’a pas punie.  Elle m’a tendu un miroir.  Et dans ce miroir, il n’y avait pas d’accusation, seulement cette question silencieuse : Es-tu prête ?  Peux-tu vraiment accueillir ce que tu réclames, ou n'est-ce qu'un cri lancé trop tôt ?

Elle m’a laissée là, face à moi-même.  Sans hâte.  Comme seule la vie sait le faire.  Les années ont passé.  Quinze années à désapprendre.  À me défaire de ce qui contractait mon cœur.  À apprendre à ne plus mendier l'amour, mais à devenir un espace sûr, habitable.

Et puis, un jour, il est revenu.  Sans prévenir.  Sans bruit.  Je n’étais plus cette jeune femme tendue entre le besoin et la peur.  J’étais devenue un lieu d’accueil.  Et c’est peut-être cela, le grand mystère.  Il ne s'agit pas de trouver l'amour, mais de devenir un espace où il peut demeurer.

La vie n’avait pas donné.  Elle avait préparé.  C’est cela, sa promesse.  Elle avait façonné mes bords, poli mes angles, élargi mon souffle.

Tant qu’on demande des choses légères, des objets, l’univers répond vite.  Une voiture, un emploi, une rencontre de passage.  Ces demandes trouvent souvent leur chemin, guidées par une attention claire, un désir ardent… que rien ne vient troubler.  Mais lorsqu'on demande plus vaste, plus vivant, plus brûlant… alors tout change.

Ces demandes réveillent les forces de fond.  Demander l'amour, le vrai, c'est convoquer le feu,
celui qui consume ce qui en soi n'est pas encore amour.

Oui, la vie a répondu.  À sa manière, lente, rude parfois, mais toujours fidèle.

Elle m’a mis face à l’endroit exact où ça saigne, elle y a déposé un peu de sel.  Puis, elle a attendu.

Et si l’on ne fuit pas…  Si l’on reste là, immobile, douloureusement vivant, alors quelque chose se dénoue.  Quelque chose en nous devient prêt.

Non, l’amour n’avait pas été refusé.  Il attendait que je sois là, entière, pour s’avancer…

SB

Post 20 du 28 juillet

À une époque où l’on ne parlait pas encore de « pleine conscience » ni de « moment présent », j’ai croisé un homme au regard clair qui m’a ouvert les portes d’une autre manière de vivre.

Avec des mots simples, il a semé en moi deux choses précieuses que je cultive au quotidien :

Une confiance inébranlable et la paix qui l'accompagne.

C'était en 1981, l’année de la « force tranquille » qu’il incarnait à la perfection, mieux que celui des affiches.

Si j’ai oublié son prénom, Sontag est resté gravé dans ma mémoire.

Il habitait une grande maison austère posée au cœur d’une plaine nue, balayée par les vents. Là-bas, tout était silence, juste le feu dans la cheminée, le froid au carreau, et cette lenteur qui à elle seule est une présence.

C’est dans ce cadre dépouillé qu’il m’a confié ce que je considère comme l’un des grands secrets de mon existence.

« L'esprit, tu vois, c’est comme le vent d’ici, il ne s’arrête jamais. Il passe, il tourbillonne, il revient. Il emporte avec lui mille pensées, des images, des peurs, des envies, des mémoires.

Le vrai calme ne vient pas dans le contrôle, le vrai calme vient du vide.

Ce n’est qu’en laissant le vent passer, sans s’y accrocher, qu’on commence à entendre autre chose, quelque chose de plus subtil. C’est dans ce silence-là que surgit l’intuition.

C’est là que les vrais choix s’imposent, et que l’invisible commence à guider. »

Je l’ai écouté sans tout comprendre, mais j’ai entendu. Alors j’ai essayé, puis j’ai adopté.

Cette année-là, tout semblait s’aligner sans effort, les projets, les signatures, les rencontres.

Une fluidité nouvelle s’était installée dans ma vie, comme si la réalité elle-même me montrait le chemin. Je n'avais plus besoin de forcer, je ne cherchais pas, j'étais simplement là, et les choses venaient.

Aujourd’hui, en écrivant ces lignes, ce n’est pas la nostalgie qui m’envahit, mais une joie apaisée. Une sorte de gratitude sans adresse, comme si je retrouvais un fil oublié, tissé il y a longtemps, et toujours intact. Une bascule silencieuse, un éveil intérieur s’est joué à ce moment-là.

Je comprends mieux pourquoi, dans le passé, les événements ont toujours surgi au moment juste. Les bonnes personnes, les bonnes idées, les réussites, tout est venu à l’heure.

Et surtout, je n’ai jamais douté, je ne me suis pas inquiété, j’avais foi, non pas en quelque chose de précis, mais dans le simple fait que la vie voulait mon bien.

C’est si simple, en réalité. Tout commence ici, tout commence ici et maintenant.

Chaque instant contient une direction, si l’on sait l’écouter et notre avenir se dessine dans chacun de nos choix présents, dans chaque respiration consciente, dans chaque geste posé avec courage.

Même les tempêtes nous construisent, même les fêlures deviennent des points d’appui.

Rien ne se perd, tout se transforme si l’on accepte de regarder autrement.

Alors maintenant chaque jour, je veux continuer d’apprendre comment l’ombre peut devenir lumière.

Comment nos faiblesses, loin de nous freiner, peuvent devenir les fondations mêmes de notre force.

Car il est temps de nous rappeler que nous sommes capables de miracles.

 

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Post 21 non publié

Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République. Le 12 mai, je me présente au guichet d’une administration de Moulins, pour déclarer la constitution d’une nouvelle société de négoce de machines agricoles.

J’ai oublié le nom de l’organisme, mais je me souviens très précisément du regard ahuri de l’agent face à moi. Dans ce contexte politique qu’il jugeait périlleux, il ne comprenait pas qu’on puisse avoir le toupet de créer une entreprise.

Sûr de moi, nommé gérant de cette Sàrl créée par mon boss pour distribuer la marque John Deere dans l’Allier, l'optimisme était patent.

À Mâcon, les ventes explosaient et ma présence n’y était plus jugée indispensable. Le patron pensait pouvoir me remplacer facilement, ce qui comptait, c’était de capter au plus vite la concession John Deere dans l'Allier, département voisin. Il avait raison, la marque aux engins verts allait bientôt dominer l’Europe.

À moi de prendre le dossier. Pour ce faire, il me gratifie d'une prime à la hauteur du capital que je suis censé apporter et place son fils comme associé et comptable. Un œil bienveillant, ou pas, sur mes faits et gestes. Pas fou, le bonhomme.

J’avais qualifié les années précédentes de « folles ».  Celles qui suivront allaient dépasser toutes les limites imaginables. Car si la force d’un homme n’est peut-être pas infinie, elle dépasse souvent de très loin ce que l’on croit possible.

Très vite, dans l’Allier, John Deere devint numéro un. Il faut dire que les round ballers, encore au balbutiement de leur technologie, se vendaient plus vite qu’ils n’étaient livrés, et que les tracteurs 2140, avec leur traction intégrale novatrice, suscitaient un engouement semblable.

Nous étions arrivés au bon moment, et j’étais bien entouré par Monsieur Lévêque, dont le nom même évoquait l’autorité calme, et Xavier, que rien n’arrêtait. Deux représentants, deux frères d’armes, des compagnons de route, presque des frères.

Très vite survint un retournement inattendu. À Mâcon, les deux chefs des ventes qui m’avaient succédé s’étaient effondrés et le chiffre d’affaires suivait la même pente.

Alors l’impensable se produisit, je repris les rênes de mon ancien poste, tout en conservant le nouveau.

Je cumulais deux responsabilités, deux équipes, deux territoires et une seule vie. Si mes deux salaires réunis avaient quelque chose d'indécent, Le mot « cadence » est faible. Les commerciaux d’aujourd’hui, et vous qui me lisez, aurez peut-être du mal à croire ce que fut mon quotidien pendant quatre ans, des journées qui ressemblaient à un rallye permanent. 

8h30, réunion fournisseurs et commerciaux à Mâcon.

14h, même exercice à Varennes-sur-Allier, après 140 kilomètres avalés avec un sandwich dans une baraque à frites.

Et ce n’était que l’échauffement.

Ensuite, chaque jour, j’accompagnais l’un des sept vendeurs sur le terrain, parfois jusqu’à minuit passé, quand ce n’était pas 2h du matin du côté de Pierre-de-Bresse ou de Louhans.

Et puis, bien sûr, les foires agricoles, les marchés aux bestiaux à 5 h du matin, les démonstrations en plein champ…

C’était une épopée, une cavalcade en costume-cravate.

Loin d'être un surhomme, j'ai avancé porté par une détermination qui a fini en catastrophe.

Je ne sais pas si le petit homme à la Mercedes avait mesuré à quel point son système reposait sur ma folie du travail, ou s’il a simplement flairé une belle opportunité, mais il vendit, très cher paraît-il, la société de Mâcon.

Le repreneur, face à l’ampleur de la tâche, refusa de racheter également la société de l’Allier. Or celle-ci, encore jeune et en forte croissance, survivait grâce à la trésorerie solide de la société-mère.

Ce fut la fin, le sablier s’est vidé d’un coup.

Bref, le pire n'étant jamais décevant pour employer l'expression célèbre de Claude Lelouch, la faillite fut déclarée, et comme j'étais le gérant, c’est moi qu’on convoqua. La justice s’en mêla. Brigade financière, interrogatoires, perquisitions, garde à vue, tribunal en première instance, puis appel.

Pendant ce temps-là, mon patron, celui que j’avais servi avec la fidélité d’un chien, se terrait derrière son vernis d’honorabilité de pacotille. Il n’eut pas un mot pour moi, rien. Souvenez-vous de mon premier jugement en 1976, ce petit homme l'était vraiment.

Il paraît qu’il bénéficia de protections politiques. Je n’ai jamais eu la confirmation, mais je n’ai plus jamais entendu parler de lui.

J’ai tenu, j’ai assumé, même quand ça devenait absurde, même quand la loyauté frôlait l’aveuglement. Heureusement, la vérité finit par remonter à la surface et je n’ai pas fini en prison.

Un beau dimanche matin de l'été 1985, je me suis retrouvé à fouiller les poches de mes costumes taillés sur mesure à la recherche de quelques pièces pour acheter du pain.

J’avais tout perdu, plus un sou, plus de travail, plus de voiture. La BMW encore presque neuve ayant fait le bonheur de l'expert judiciaire.

Même pas triste, un peu flottant, peut-être, comme un acteur qui descend de scène après quatre actes bien remplis.

Et contre toute attente, j’ai ressenti une drôle de légèreté, une paix étrange, celle de quelqu’un qui n’a plus rien à prouver, ni à porter, le luxe inattendu du vide.

Durant des jours, peut-être même des semaines, habité par les plaines du Nord et par les paroles de Sontag, je vais écouter le vent, celui qui nous porte et nous emporte.

Et Hugo qui murmure « Les plus belles années de ta vie sont celles que tu n'as pas encore vécues. »

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Post 3 de Sylvie non publié

Habiter les saisons

Devenir ce que l’on est ?

Mais qui suis-je, moi, en train de devenir ?

Le froid du carrelage me ramène doucement à moi. La lumière du matin, impitoyable et franche, tombe sans douceur sur le miroir. Je ne cherchais pas à me regarder vraiment, juste un coup d’œil rapide, comme d’habitude.

Et pourtant, ce matin, quelque chose m’arrête. Le reflet m’accroche d’une façon nouvelle. Il y a là un visage que je connais trop bien, et que je ne reconnais pas tout à fait.

Des sillons plus marqués que la veille, peut-être ? Ou bien, sont-ils là depuis longtemps ?

Je glisse une main dans mes cheveux. Un fil d’argent brille, têtu, au sommet de ma tête. Je le tire. Il résiste. Il est à moi désormais. Je relâche la mèche dans un soupir.

Je m’approche encore, presque malgré moi. J’effleure du bout des doigts ma joue, mon front.

Le temps a fait son œuvre, et c’est à peine si je l’ai vu passer.

Je reste là, immobile face à cette femme qui me regarde et qui semble me demander : Et maintenant ?

Il y a encore en moi cette part vive et légère, cette jeunesse intérieure qui ne s’est jamais tue. Le reflet me trouble, comme s’il trahissait un décalage.

Non, pas déjà. Pas maintenant !

J’essaie pourtant de me raisonner. Je me répète que personne ne me scrute vraiment, que ces rides que je traque, je suis sans doute la seule à les voir. Mais la résistance est là, tenace, qui refuse de céder la place à une nouvelle saison.

Je me tourne vers la fenêtre comme on cherche de l’air. Dehors, l’hiver retient son souffle.

Les arbres semblent morts, immobiles, comme figés dans leur nudité. Et pourtant, sous l’écorce, la vie se prépare déjà à renaître.

Je me souviens d’avoir été fascinée, enfant, par ces bourgeons minuscules qui gonflent en silence, invisibles à la plupart des regards. Ils attendent leur heure, simplement. Pas de révolte, pas de honte, pas de regrets : la nature ne lutte pas contre les cycles. Elle les habite. Elle les honore. Et moi ?

Je voudrais retenir le printemps, faire durer l’été. Mais les arbres, eux, ne résistent pas. Ils laissent tomber leurs feuilles et attendent. Leur sagesse silencieuse me renvoie à ce que je refuse encore d’accepter.

Je reste là, un instant encore, face à cette femme que je redécouvre. Il y a encore de la résistance, mais quelque chose se détend. Comme quand la mer se retire et qu’il reste un sol nu, fragile mais habité. Un éclat différent affleure, comme une réconciliation possible.

Et si c’était ça, avancer ? Se laisser traverser, couche après couche, par ce qui change.

Je repense à tous ces moments où j’ai cru que tout était perdu, où la terre semblait stérile. Et chaque fois, sans que je le comprenne pourquoi, quelque chose a refleuri. Comme une part de moi qui refusait d’abandonner.

Il y a encore des peurs, bien sûr. Des doutes. Des soirs où je regretterai peut-être la fraîcheur de ma jeunesse, la facilité d’autrefois. Mais il y a quelque chose de rassurant à savoir que je ne suis ni figée, ni finie. Que je fais partie d’un cycle plus vaste, qui me dépasse et me relie à tout.

Je suis cette femme-là aujourd’hui, et demain j’en serai peut-être une autre. Et c’est très bien ainsi.

Je souris à mon reflet, non par vanité, mais par gratitude. Pour ce qu’il a traversé. Pour ce qu’il traverse encore.

Puis je tourne le dos au miroir et j’avance. Pas plus jeune, pas plus vieille, simplement plus entière.

SB

Post 22 non publié

La mémoire des hommes qui ont traversé ma vie dans les années 80 me fait défaut. Certains sont encore là, d’autres ont disparu, mais tous ont compté. 

Vous, les aristos, les pieds-noirs, les cabossés et tous les autres, vos visages me reviennent.

Même si des noms et des prénoms m'échappent, Amaury, Albéric, Astruc, Claude, Yves, Jean-Paul, Jean-Marc, Jean-Claude, Pierre, Légier, Lavest, Lecontellec, Bourbon, Chapelat … et bien d’autres que je ne sais plus nommer, vous restez tous importants dans ce qui fait cette histoire.

En ce qui concerne la famille, nous avons vendu la maison de Saône-et-Loire pour nous établir à Vichy au dernier étage d’un bel immeuble. Une nouvelle adresse qui marquera un autre départ.

Les hasards de la vie ont parfois le parfum du destin, laissez-moi vous raconter comment il s’amuse. Bien des années plus tard, Marianne, avocate stagiaire, est de retour dans sa chambre d’enfant à la tapisserie fleurie. L'appartement devenu le cabinet d’un Maître du barreau et la chambre intacte un secrétariat dont les murs se souviennent des rêves de la petite fille. Coïncidence ou fil invisible ?

Revenons au vide de cet été perdu, à ces moments jalonnés d’anecdotes inattendues.

Un jour, alors que le moral n’était pas au plus haut, Yves m’a proposé une balade à Veauce. Le châtelain exposait un peintre que je ne connaissais pas. 

J’ai été foudroyé par une toile aux teintes de feu, peuplée, il me semble, de pèlerins. Je n’avais plus les moyens de me l’offrir, et c'est tristement que je suis parti sans ce tableau.

Des années plus tard, revenu à meilleure fortune, j’ai voulu retrouver cette œuvre. Trop tard. Le châtelain n’était plus et le nom du peintre s’était perdu. Peut-être que quelqu’un, quelque part, s'en souviendra !

À l’automne, la situation financière alarmante réclame un rebond. Le monde agricole me tend les bras, mais l’on ne revient pas en arrière, on ne peut pas être et avoir été. Il me faut du nouveau, du solide, du stimulant. 

Yves, l'ami indéfectible, m'a permis d'acheter une voiture d’occasion, une 604 Peugeot bordeaux, au moteur six cylindres dont la consommation faisait fuir les acquéreurs. Un peu hors d’âge, mais impeccable, un véhicule à contre-courant, comme moi.

Un constructeur de maisons individuelles basé à Roanne cherchait des vendeurs, je ne connaissais rien à ce métier, c’était parfait, une nouvelle aventure à tenter.

L'embauche passait par une sélection organisée sur deux jours de confrontation en groupe. À 40 ans, j’étais entre les deux générations en présence constituées de débutants sans expérience et d'anciens fatigués. Le responsable de la société de recrutement m’a dit « Tu n'es pas à ta place ici, tu ne rentreras jamais dans le moule. »

Le lendemain, Monsieur Parent, le patron, me prend à part « La région de Moulins m’intéresse, je te propose un contrat d’agent commercial, indépendant. »

Parfait pour moi qui souhaite avancer libre et ce statut m'apparaît parfaitement adapté pour prendre un chemin inconnu. D'autant que je vise parallèlement un poste identique dans la vente de hangars métalliques.

Entre-temps, Michel, un conducteur de travaux que j'embaucherai des années plus tard, a tenté de m'apprendre un peu le métier.

J'ai découvert un univers totalement nouveau. Des fondations à la toiture, un apprentissage identique à celui des tracteurs, quinze ans plus tôt.

Je ne dois pas rester prisonnier de mon passé ordinaire, il n'y a pas de secret, pour gagner je dois m'aligner sur cette nouvelle ligne de départ et activer ce furieux désir de victoire qui m'a toujours habité.

La vie est faite de surprises et il me reste une infinité de choses à créer, à comprendre, à réaliser.

Je n'ai ni or ni argent, mais ce que j'ai, je te le donne, lève-toi et marche, a dit Pierre.

Bref, il ne sert à rien de chercher des prétextes, la vie nous fournit une multitude d'occasions de nous mettre en route et nous fait une multitude de signes que nous refusons de voir. Si détruire nos vieilles habitudes exige une dépense d'énergie colossale que chacun d'entre nous a le pouvoir de faire, je peux le faire.

Une semaine plus tard, j’expose au salon de la maison individuelle à Moulins.

« Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit », a dit Khalil Gibran.

 

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Post 23 non publié

Le plus extraordinaire, c’est l’homme, dans ses qualités comme dans ses défauts, Gérard, appelons-le ainsi par égard pour les siens, était un personnage hors normes.

Ce nouvel associé de ma vie professionnelle n’était pas un homme ordinaire. À vrai dire, rien en lui ne l’était. Un génie du commerce, à n’en pas douter, mais aussi un être aux comportements si déroutants, si primitifs parfois, qu’il oscillait entre le tragiquement méprisable et le spectaculairement fascinant. Deux visages en un seul corps.

Je dis associé car, à partir de ce nouveau départ, je ne serai plus jamais salarié. J’avais compris, à mes dépens, qu’un certain niveau de responsabilité ne souffre pas de dépendre des intérêts d’autrui. Il me fallait désormais ma propre liberté, avec ses risques, ses vertiges, mais aussi ses joies souveraines.

C’est à Moulins, sur le stand encore en cours d’installation, que notre collaboration prit forme. Gérard m’entraîna dans un restaurant routier voisin, où il me présenta un contrat type de travailleur indépendant. Restait à remplir la case vide, celle du pourcentage, de mes honoraires.

Il proposa 2 %, je réclamai 5, il monta à 3, je descendis à 4, nous transigeâmes à 3,7.

Cette signature, peut-être, lui coûta plus qu’il ne l’aurait voulu, d’ailleurs, certains mois, mon chèque tarda à venir.

Mais ce début, malgré tout, fut une chance, une chance insolente, comme si la vie m’envoyait un clin d'œil complice.

Figurez-vous qu’à cette première exposition, dans une région que je ne connaissais pas, j’ai signé deux contrats en deux jours. À l’époque, un bon vendeur de maisons individuelles réalisait en moyenne deux ventes… par mois.

Incroyable, inespéré, d’autant que mes compétences étaient encore embryonnaires.

Le premier client, un professeur autrefois en poste à Vichy, connaissait déjà notre modèle de pavillon témoin. Trop heureux de nous voir nous installer à Moulins, il n’a pas hésité.

Le second, un jeune couple venu flâner le dimanche midi alors que tous les autres vendeurs étaient partis déjeuner, s’est laissé séduire presque malgré lui. Je n’avais rien à faire… sinon être là.

Je vous épargne les détails, les péripéties, les tensions internes. Pendant quatre années, j’ai appris ce métier qui est devenu le mien.

En 1989, deux ans avant que l’entreprise ne sombre à cause des extravagances de son dirigeant, j'ai créé ma propre société.

Alors oui, malgré tout, c’est bien grâce à Gérard que j’ai retrouvé la lumière, reconquis mon autonomie et regagné un niveau de vie correct.

Son caractère m’a contraint à le quitter, mais sa présence m’a permis de redémarrer.

« Choisissez un travail que vous aimez, et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie », disait Confucius.

Je venais d'apprendre un travail et je pressentais qu’il pourrait peut-être m’emmener loin.

 

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Post 24 publié le 1ᵉʳ aout

Hier, aujourd'hui, demain.

Hier, il y a longtemps, dans une rue de Lacoste par un jour de mistral, un petit garçon ramassait des pierres pour en faire des murailles.

Il parlait aux arbres, aux ombres, aux silences. Il jouait à bâtir des mondes sans savoir qu’un jour, bien plus tard, il lui faudrait reconstruire le sien, morceau par morceau, après chaque épreuve.

Ce garçon, qui avait les poches pleines de rêves et les mains pleines de poussière, c'était moi, c’est à lui que je parle quand j’écris.

À cet enfant-là, et à tous les autres devenus grands, je dis que la vie n’est pas un long fleuve tranquille, mais une rivière têtue, bordée de ronces et d’étoiles.

Je lui dis que j’ai chuté, que j'ai douté, que j’ai pleuré parfois, mais que je me suis toujours relevé. Que c’est pour lui que j’écris, et pour tous ceux qui lui ressemblent.

J’écris pour ceux qui ont connu l’incertitude, les virages brusques, les recommencements. Pour ceux qui ont dû s’inventer un lendemain quand le présent se dérobait.

Pour dire que rien n’est jamais perdu.

J’écris pour transmettre.

Pour Sylvie, pour glorifier le sens de notre amour.

Pour mes enfants, pour mon frère, pour mes amis.

Pour les lecteurs, pour les inconnus qui, un jour, croiseront ces mots comme on croise un talisman oublié sous une pierre.

Pour ceux qui trouveront, dans ce récit, une résonance discrète, une main tendue.

J’écris pour que ce chemin, fait de détours, de rencontres, de recommencements, ne reste pas muet. Pour témoigner, pour dire qu’on peut tomber, perdre, douter, et pourtant avancer.

Aujourd’hui,

je ne cherche pas à briller, ni à me raconter pour me glorifier.

Je ne veux pas écrire une légende, mais une vérité.

Celle d’un homme qui n’a jamais cessé de croire que la vie mérite qu’on s’y donne tout entier, même quand elle nous échappe.

Je ne cherche ni reconnaissance, ni pardon, ni gloire.

J’ai voulu faire de mes défaites des tremplins, de mes erreurs des outils, de mes joies des passerelles.

Rien n’est jamais perdu tant qu’on reste ouvert à l’imprévisible, à la tendresse, à la lumière.

Ce n’est pas un testament, ce n’est pas un cri d’adieu, c’est une offrande.

Un chant simple, un peu éraillé peut-être, mais honnête, une lampe posée sur le bord du chemin.

Une manière de dire que tout est possible, que même dans le gris des jours, une lumière existe.

Que le courage, la joie, la volonté ne sont pas des grands mots, mais des élans simples, disponibles à chacun.

C’est une lettre vivante, une ode sans majuscule, une prière sans dogme.

Une façon de dire que j’ai vécu, que j’ai aimé, que j’ai failli, et que pourtant, je suis encore là, debout.

J’ai souvent été un homme simple, parfois fougueux, parfois à bout de souffle, mais j’ai toujours voulu comprendre.

Toujours voulu croire que derrière les revers se cache un sens, une ouverture, une promesse.

Demain,

si je peux vous transmettre un peu de cette force tranquille, alors j’aurai tout dit.

Si mes mots peuvent, ne serait-ce qu’un instant, vous réchauffer, vous faire sourire, ou croire un peu plus en vous-même, alors tout cela aura eu un sens.

Si, dans ces pages, vous trouvez un reflet de vous-même, une force, une lueur, alors j’aurai réussi ce que je suis venu faire ici.

La vie est belle, oui, même dans ses plis les plus sombres, elle n’est pas simple, elle n’est pas douce tous les jours, mais elle est belle, profondément.

Parfois, il suffit d’un mot, d’un souvenir, d’un sourire, pour la faire rejaillir, comme un feu sous la cendre.

Il ne faut pas de grandes aventures pour que la vie soit belle, il suffit de la regarder avec gratitude, et d’oser, de temps en temps, lui répondre avec une voix qui dit simplement « Regarde… regarde comme c’est fragile, et pourtant si lumineux, regarde comme on tient, malgré tout. »

Alors voilà, j'écris pour bâtir encore, pour aimer mieux, et pour que ce petit garçon, quelque part en moi, continue à croire qu’avec trois pierres, un peu de foi, et un cœur vaillant, on peut bâtir un monde.

Et peut-être qu’un jour, quelqu’un, quelque part, ramassera une de ces pierres que j’aurai laissées sur le chemin, non pour bâtir un mur, mais pour y poser une lampe.

 

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Fin de la page 1

 

Pour Jean-Pierre, il ne reste que 35 ans d'histoire à raconter !

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Date de dernière mise à jour : 02/08/2025